Issu d’une famille de sabotiers de longue date du côté de son père et de sa mère, Louis Le Bas est né à Scaër en 1878. Il a exercé son métier dans une hutte de la forêt de Coat-Loc’h avant d’installer son atelier dans l’actuelle rue Renan, une dizaine de mètres plus haut que la rue du presbytère. Le magasin de vente était placé au carrefour des rue Brizeux et Corentin Guillou, à Pors-Carnig. Au soir de sa vie, (il est décédé en 1971), dans le cadre familial il raconta sa vie de sabotier de façon improvisée, à bâtons rompus, dans un enregistrement sur cassette.
Nous avons repris l’essentiel de ce récit en classant les réflexions de M. Le Bas mais en conservant ce qui fait sa richesse et son authenticité : bretonnant de naissance Louis Le Bas pensait dans sa langue maternelle et traduisait en français les tournures de phrases bretonnes dont la syntaxe est différente.
Des sabotiers itinérants
Deux huttes ."Mon père et ses parents étaient également sabotiers (*). On vivait à cette époque dans des forêts, en hutte:Une hutte pour la famille, et une hutte pour les travailleurs, quoi. Et de forêt en forêt, ils se déplaçaient selon les coutumes, de la façon de rester le plus possible au même endroit, ils tâchaient d’avoir le plus gros lot [de bois] possible leur convenant pour rester un moment en famille dans le même endroit. Mais autrefois ils étaient toujours en déplacement, du moment qu’ils travaillaient de forêt en forêt. Trois ou quatre voitures, il fallait bien, pour mettre le ménage et tout ce qu’il y avait n’est-ce pas, la literie et tous ces lits . On transportait aussi la charpente de la hutte, sauf quand elle donnait des signes de fatigue. Les billots n’étaient pas transportés. La famille suivait comme de juste n’est-ce pas, le cours des déplacements puisqu’il fallait bien coucher une hutte pour le ménage de la famille, et puis une hutte pour le travail. Et puis, des fois, il fallait bien se déplacer assez loin, c’est pourquoi des Côtes-du-Nord mon père est venu, par étapes, comme de juste habiter Scaër, ici. Il fallait bien, pour que la famille puisse se déplacer, que le lot soit assez important. Dans les terrains domaniaux on trouvait pas mal de lots qui valaient la peine d’un déplacement. »
Les huttes de sabotiers en forêt de Coat-Loc'h au début du XXe siècle :"Une hutte pour la famille, et une hutte pour les travailleurs"(photo archives 29-Fonds Godineau) |
L’école.« Parfois on était un peu trop loin pour aller à l’école. C’était la coutume : l’aîné on faisait tout son possible pour l’envoyer à l’école » . Pour les cadets, c’était l’école à la maison avec le concours d’un ancien de la famille. Arrivés à Scaër, mes grands parents travaillaient à la forêt de Coat Loch, à la forêt du pays…Ma grand-mère elle a envoyé ses enfants à l’école, en pension au bourg. … Quand l’aînée avait pu apprendre à lire et à écrire, elle faisait l’école à ses frères et sœurs, à la maison si c’était trop loin.»
Le bois.
Par expérience, Louis Le Bas a appris à distinguer les bois utilisés pour la confection des sabots. Outre le hêtre, le plus fréquemment utilisé à Scaër, les sabotiers utilisaient le frêne très estimé par les marins de la côte : « Il faut croire qu’il prenait moins vite de l’eau, et qu’il était moins glissant que le hêtre sur le bateau ».
Le bouleau « C’est un bois léger et puis sur la côte également, ils estimaient celui-là. Surtout les travailleurs d’usine aimaient bien avoir un sabot léger pour aller à l’usine »
Le peuplier : « Seulement quelques clients sur la côte, en demandaient ».
Le sycomore « Le meilleur bois que j’ai jamais travaillé, qui avait une supériorité sur tous les autres. On peut porter comme cela une paire de sabots en plein hiver et même toute l’année sans qu’elle prenne de l’eau…. il n’est pas plus dur que les autres bois quand il est vert… qu’il se fendait, catégoriquement dans la largeur qu’on voulait… c’est un bois très blanc et ceux qui portaient le sabot blanc comme à la côte, également, il est presque brillant comme de l’argent, quand il est bien poli»
La taille et la creuse
La fabrication du sabot se faisait en duo : « L’un qui faisait la taille, la façon du sabot, et l’autre qui faisait l’intérieur. En général, tu sais, en famille quand ils travaillaient avec toute leur famille, c’étaient les femmes, les jeunes filles qui creusaient le sabot. Les hommes le taillaient, le sabot.
Le sabot se taillait à la hache, bien entendu. On dégrossissait le bois après l’avoir coupé à la scie à la longueur voulue pour la fabrication du sabot avoir après avoir coupé le tronc comme de juste, on le fendait à la grosseur voulue pour faire un sabot. Tout se faisait alors à la main. Et… Il fallait des coins et un maillet pour fendre la rondelle de bois, comme nous l’appelions, n’est-ce pas, pour débiter chaque sabot suivant sa grosseur et la longueur. Comme de juste, pour un gros il fait un plus gros».
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Après avoir divisé la rondelle en quatre quartiers : « Il taillait le mieux possible à la hache de 2-3 kg, pour qu’il ait le moins de difficulté pour le finir au paroir, parce qu’après on le mettait sur la chouffe, une bille de bois aménagée pour cela pour coller le paroir avec une boucle dans un bout dont il se servait pour faire alors le sabot, pour lui donner sa forme, après la hache ».
La creuse commençait par le talon :« Il faut d’ailleurs avoir des vrilles pour faire le premier trou, comme de juste, pour percer. Alors bon, pour les grands sabots il fallait bien des grandes vrilles et puis pour les petits sabots il y en avait de plus petites aussi, comme de juste.
Et puis après la vrille, on se servait d’une cuillère pour élargir le trou de la vrille, comme de juste. Et puis il y avait des cuillères spéciales, alors, pour faire le talon, pour percer le talon alors. On faisait la première entaille alors.
Après avoir fait le talon on reprenait la vrille, après avoir vidé le talon jusqu’à l’entrée du sabot, on reprenait la vrille pour l’enfiler jusqu’au bout pour faire la longueur voulue et la pointure voulue du sabot. Et c’est comme cela qu’on finissait la creuse avec des cuillères qui convenaient à la pointure du sabot comme de juste. Après avoir tout dégrossi l’intérieur du sabot on prenait alors le boutoir pour aplanir et purifier la semelle.
Tout du bas, du talon jusqu’à la moitié de la semelle à peu près. Après cela le bout alors, la semelle, le bout était fini par la raffinette on l’appelle. Un petit outil courbé comme une langue de chat, très longue et puis bien courbée, et puis pas trop large ne faisant pas plus d’un pouce de largeur, qui pouvait tourner tout autour du sabot pour le purifier tout autour, le passage des cuillères, pour faire effacer tout le passage des cuillères».
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Purifier le talon !
Les finitions. « Du bout et de tout l’entour du sabot. Alors une petite cuillère fine pour bien purifier [affiner sans doute ?] le talon de mon temps on avait un grattoir, un bout d’acier monté sur un bout de bois à 2 manches qui servait à gratter à finir le bois pour le purifier comme de juste».
Le séchage : « Le sabot, on le séchait à la fumée de bois comme de juste n’est-ce pas, pour qu’il se déforme moins. Parce qu’un sabot bien sec ne se déforme pas. Après avoir été bien séché à la fumée il ne se déforme pas. Tandis que si on le laissait tout vert, comme cela, il se gondolerait et puis, il perdrait sa forme».
Noircir le sabot : « Pour que cela reluise bien, il faut bien le noircir et savoir le faire son noir.
Nous faisions personnellement notre noir, n’est-ce pas, avec de la cire d‘abeille. Comme de juste, n’est-ce pas, il fallait mettre de l’acide pour la délayer, la mélanger à l’eau comme de juste. Il fallait bien de l’acide pour mélanger la cire avec l’eau. Et puis alors de notre part, nous avions le noir de fumée également…Mais seulement après les avoir noircis, eh bien il fallait encore les cirer. Et ma foi le sabot, plus il était bien poli, comme de juste, plus il devenait clair et plus… On le frottait avec un outil spécial, qu’on appelait le frottoir.»
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Les Conditions de travail.
« Le prix du sabot, de vente des sabots, était partagé en deux. Entre le patron et les ouvriers. Ils coupaient en deux. C’était, si le sabot était vendu, à cette époque, dans le temps passé cela se vendait dans les 20 sous la paire, et puis il y en avait 10 pour l’ouvrier, pour les ouvriers, pour la façon, et les 10 autres étaient pour le patron pour acheter son bois et tous les frais qu’il avait compris. Pour une rémunération convenable : il fallait tailler ou creuser 5 douzaines par semaine».
Des douzaines à géométrie variable : « C’était 12 paires pour les grandes tailles, c’était de 16… de 18 paires, les sabots moyens et 24 paires pour les sabots d’enfants. De plus, la notion de douzaine variait d’une région à l’autre . Parce qu’au début, là dans les Côtes du nord, mon père a travaillé, est venu de là-bas s’installer par ici, mais seulement là les douzaines n’étaient pas si fortes, donc ils étaient mieux payés que nous, un peu »
La nourriture : « Patrons et ouvriers faisaient leur cuisine à part. Il grillait une bonne tranche de lard dans le fond de la marmite et puis quelques pommes de terre qu’il faisait à l’étouffée. Un autre jour par exemple, c’était une soupe, à l’oignon. C’était pas mal non plus, avec une tranche de lard…La ferme n’était pas loin, alors on pouvait s’approvisionner en beurre, et même en lait par moment, si bien qu’on faisait aussi la soupe au lait, s’il vous plaît. Alors n’est-ce pas, la soupe aux légumes c’était certainement toutes les semaines, on en faisait un peu aussi. Alors comme ça on pouvait changer sa nourriture».
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(*) Le père de Louis Le Bas, Mathurin Le Bas (1839 -1889) était de Belle Isle en Terre ; son grand-père :Louis Le Bas (1797-1842) de Belle Isle en Terre ;son arrière-grand-père Pierre Le Bas (1772-1839) de Langast: ils étaient tous t sabotiers.
Son grand père maternel Jean Marie Jaume (1818-1866) est né à Languidic. Ce sabotier demeurait « en la forêt royale de Coatloc’h en Scaër » le 15 février 1848 à la naissance de sa fille Marie Julienne, mère de Louis Le Bas ; son arrière-grand-père maternel, né à Lanouée en 1781, était également sabotier demeurait à Saint Adrien en Scaër lors de son décès. ( Sources: Généanet)
Les descendants de Louis Le Bas n'ont pas poursuivi la tradition: le monde avait changé et l'usage des sabots déclinait. Mais bon sang ne saurait mentir ; sa fille Anne-Marie épousa François (Fañch) Larvor, qui est qualifié de" maître Bottier" . Il présida le comité des fêtes puis l'amicale Brizeux qui relancèrent la mi-carême après guerre. Louis Le Bas et son gendre sont également présents sur la photo prise en 1947 lors de l'accueil du " Négus" à Pors-Carnig.