Kernabat. Les témoignages de Lili Goaper et Jean Vigouroux

 Il y a quelques décennies, afin de rédiger un ouvrage consacré à Coray durant la guerre, plusieurs anciens résistants témoignèrent à propos des événements qui s’étaient produits les 14 et 15 juillet 1944 aussi bien à Scaër qu’à Coray. Voici in-extenso, sans filtre, la transcription  des témoignages du Coraien Lili Goaper, résistant FTP, et du Scaërois Jean Vigouroux, résistant FFI.

Lili Goaper : Une bataille inégale

Lili Goaper vers 1980
A l'époque il était directeur d'école à Coray.

Dans la nuit enfin du 9 au 10 juillet "le vent souffle dans les blés" nous annonce un premier parachutage dans la région de Coadry. Le  capitaine CARRON de la CARRIERE, un capitaine et un radio anglais permettront la liaison avec l’Angleterre. Par l’intermédiaire du maquis de St Thois, notre émetteur étant en panne, le contact est établi ; un nouveau parachutage aura lieu dans la nuit du 14 au 15 juillet. L'avis de parachutage arrive à Scaër vers midi dans la journée du 14 alors que la fête nationale bat son plein. Le commandant Fernand (P. CABILLIC) est déjà sur les lieux pour mettre en place le dispositif. Un billet laconique sur une page de carnet prestement déchirée avise les 3 groupes de Coray (F.T.P.) : "Amène tes hommes au lieu que t'indiquera le porteur de ce message » (M. CLAIRON). Dans la nuit, en silence, les résistants se rassemblent à Kervir où aura lieu le parachutage. Le terrain est balisé, pas toujours facilement car les torches électriques font défaut à l'époque, le grand L de l'indicatif flambe et vers 0h30 mn le premier avion, bas dans le ciel couvert, largue les premiers containers : 16 tonnes d'armes et de vivres vont ainsi venir par air. Les charrettes arrivent à demeure ; l'on charge à qui mieux mieux, sans oublier les parachutes. Le transport se fait de nuit de Kervir à Kernabat où a lieu le dépôt. Les hommes en place s'arment, se restaurent dans les fermes voisines, les premières charrettes arrivant au dépôt entre 2 h et 3h du matin. Un groupe restera sur le terrain jusqu'au lever du jour pour effacer les dernières traces et récupérer les derniers emballages. Nous nous retrouvons à Guerveur au début du jour (15-07) peut-être 7h pour les derniers arrivés (50 environ).

 Mais déjà l'alerte est donnée, les Allemands sont en éveil ; les premiers sont à Coadry à l'aube naissante. Pierre CAPITAINE n'a pas rejoint. (4 à 5h). Nous apprenons qu'il vient d'être fait prisonnier. Un groupe mené par Gicquelay part aussitôt en reconnaissance, mais doit rentrer, l'ennemi étant signalé près du dépôt (Restambern). Le commando descendu de Landerneau est à Coray vers 5h30, où le Maire (M. LE BIHAN) est sorti du lit, embarqué et mené à Kerscao, Coadry, Kernabat... Il sera relâché dans la soirée. Dans la nuit, l'ennemi tâtonne, mais s'approche sous l'impulsion de Français à la solde (Gales, Toulgoat, justice a été faite) [*], très prudemment après les premiers contacts avec nos sentinelles d'avant-garde. R. TURQUET remontant de Kervir sur Goarem Vras sera la première victime. Mais bientôt les renforts allemands arrivent de toutes parts : ils étaient quarante, ils seront bientôt, 400, 600, 1200 ; le sait-on ? Dès l'alerte la liaison est établie avec Quillien que la Compagnie de Rosporden (une centaine d'hommes) a rejoint dans la nuit du 13 au 14 sous la direction de MERCIER (L. LE CLEACH) après une décision du chef départemental. Une corvée est aussitôt mise à la disposition de Scaër, les postes de garde sont renforcés, 3 sections se portent en avant afin de couvrir l'évacuation des armes. Mais le mouvement allemand s'accélère. Un petit avion de reconnaissance basé à Lorient a survolé le dépôt. À 10h30 les premiers éléments sont à Guerveur où la mitraille crépite. Hélène RIVIER est blessée à la gorge, P. CABILLIC (Fernand) blessé à la cuisse, mort un mois plus tard, seront les nouvelles victimes de ce premier contact, Ch. LE MOAL, blessé également à la cuisse réussissant miraculeusement à s'échapper. L'interrogatoire des villageois ne donne rien. Mais la bataille alors devient très inégale ; d'une part 150 maquisards, pour la plupart peu éprouvés encore, qui reçoivent le baptême du feu en recevant leurs premières armes ; de l'autre un commando aguerri, plus fort en nombre et en matériel.

Présentation du document dactylographié, source des témoignages des deux Résistants. Objectif: faire mieux connaître cette période de notre histoire

  En bon breton, chacun se bat courageusement

 Devant le poids de l'ennemi un combat de retraite s'organise, (de talus en talus avec groupe de couverture). En bon breton, chacun se bat courageusement sinon témérairement. Un groupe de choc ennemi arrive en force à Kernabat qui se vide vers 10h30mn. Un des commis sera retenu par les Allemands (R. NAMOUR). Dans quel but ? Guide ? toujours est-il qu'il sauvera de l'incendie une dame malade restée sur place (Vve J. GUEGUEN). Il sera relâché dans la soirée. Kernabat est enlevé par l'ennemi qui se lance sur Quillien où la tenaille manque de se refermer. Mais du vallon de Kernabat au haut de Quillien la résistance est acharnée. Il faut à tout prix échapper à l'étau. Les exploits individuels abondent. Nous en ferons grâce, mais l'épopée du quartier-maître Pierre SALOMON qui seul, pendant près d'une heure, tient tête à l'ennemi avec son fusil mitrailleur avant d'être atteint au ventre alors qu'il vient de sauver un groupe de prisonniers civils, ne tombera pas dans l'oubli, pas plus que celle du Polonais qui placidement, sous la fusillade, laisse avancer tout un groupe ennemi avant de lâcher ses rafales. La mitraille ennemie éclate maintenant dans toutes les directions mais les talus, épais en cette saison, les bosquets touffus, forment une protection idéale. L'artillerie installée à Coadry (2 mortiers) (canons légers (V. BOUTET) ajoute encore au danger. Le décrochage est difficile. Il est 15h. À Kernabat cependant, croyant la victoire assurée, l'ennemi festoie, les repas ayant été préparés avant le départ des habitants, l'alcool, le cidre coulent à flots de même d'ailleurs qu'à Quillien où le repas des maquisards était en train (M. LE DU), Mais brusquement, remonté de Meil Kergoaler, le groupe F.F.I. de Bob surgit presque étonné de trouver l'ennemi si plein d'insouciance, sinon d'inconscience après les agapes. Un coup de pied rapide, une porte s’ouvre sur l'ennemi et la pétarade reprend de plus belle cependant que les jurons tonnent et que les hurlements retentissent. Affolés par cette contre-attaque inattendue sur leurs arrières, les Allemands par des fusées d'alerte font remonter le groupe de Quillien ce qui permettra-le décrochage final (vers I6h) sur Langolen (Le Leurré) et sur Coray (Huelgars), cependant que le groupe résistant de l'arrière s'égaye dans la nature. La fusillade s'arrête enfin. Quelques coups de feu épars s'entendent encore de-ci, de-là. Il est 17h. Mais tout n'est pas pour autant terminé, l'ennemi est toujours dans la place. Il relâchera toutefois les hommes arrêtés ; pour la plupart des cultivateurs pacifiques auxquels quelques patriotes ont réussi à se mêler. Le grand ouvrage va alors commencer : les incendies éclatent ; Quillien (17h, au décrochage), Kernabat (19h30). Les résistants blessés ou prisonniers sont achevés, (J. LE DU) après un long martyre. Certains (BOLLORE, GUEGUEN) absolument méconnaissables et défigurés ne sont identifiés que par leurs papiers ou leurs vêtements, l'un d'eux (KERJOSE) 3 semaines après quand enfin les maquisards dispersés auront réussi à regagner le groupe initial.
C'est sur cette note criminelle que s'achèvera cette, longue et sanglante journée. Les pertes ennemies sont difficiles à évaluer. Les chiffres contradictoires ont été avancés (60 ? 100 ? 130 ?).
Les cadavres à l'habitude sont enlevés aussitôt et prennent la direction vraisemblable du Faouët. Mais ce combat, la fermeté et le courage audacieux des résistants sapent le moral ennemi déjà atteint par les escarmouches incessantes et meurtrières, par le débarquement du 6 juin, et pourtant il faut patienter encore, les consignes des officiers parachutés sont sévères : donner le minimum de renseignements sur la force et l'emplacement des groupes patriotes, se défendre, attendre le jour "J" où tous les F.F.I. de Bretagne vont sortir ouvertement de leur retraite (3 août). Le chapeau de Napoléon arrivera à Perros-Guirec ce soir.



Jean Vigouroux : Manque de coordination et rivalités

Jean Vigouroux,
membre du groupe Bob en 1944

Au matin du 14 juillet 1944, les F.F.I. de Scaër dont j'étais, ont pris contact avec les F.T.P. À la suite de cet entretien, et dans la joie générale d'une population qui de ce fait croyait à la libération, nous, F.F.I. et F.T.P., avons défilé en armes dans les rues de Scaër et déposé une gerbe au monument aux morts. Nous avons ensuite, chacun de son côté, regagné nos bases.
Dans la matinée du 15, de Ty Goel Yann lieu, où on était, on a entendu les bruits d'un affrontement. On a dépêché un des nôtres pour savoir ce qu'il se passait. Il s'agissait du parachutage de Kernabat. En fait, on l'a su plus tard : il nous était destiné ; mais le message nous en informant avait été capté par les F.T.P. qui ont alors décidé de l'exploiter pour leur compte. Mais par suite d'une trahison, ils ont été surpris par les allemands qui ont saisi la plus grande partie des armes et du matériel.
Nous, pendant ce temps, on évacuait le produit d'un parachutage qui avait eu lieu à Kerbruc en Scaër le 9 juillet. On avait récupéré 25 tonnes de matériel, en dépit de la présence pas très éloignée d'Allemands. Ils avaient d'ailleurs réussi à capturer P.  BIHAN. Ils l'ont envoyé dans la forêt de Laz, mais il n'a pas parlé. Alors ces armes, on avait déjà ravitaillé le maquis de Rosporden, on les a distribuées aux résistants volontaires qui se présentaient, 300 environ, et on a caché le reste à Kervon.
Là, René GUEGUEN, agent de liaison F. T. P., nous a rejoint.  Dans    l'après-midi du 15   juillet, on est parti à 11.   On était bien équipé avec du matériel dont on savait se servir, car on avait plupart déjà reçu une instruction militaire. On s'est dirigé vers où venait le bruit, c'est à dire, vers Kernabat. On est tombé où, dans quelle ferme ? sur des Allemands qui célébraient joyeusement le fait d'avoir récupéré le parachutage. Bob, notre chef, a voulu pénétrer dans la maison, mais il s'est trouvé nez à nez avec un Allemand qu'il a abattu. Alors la fusillade a commencé ; l'alerte a été donnée. Les Allemands arrivaient de partout. Au moment de la fusillade, les troupes allemandes encerclaient le groupe de Rosporden. Quand ils ont entendu les coups de feu, ils se sont repliés, et n'ont pas achevé de ce fait leur mouvement de tenaille ; Les résistants ont pu alors se dégager. Après la bagarre, on a rejoint Kervon. On a rassemblé des armes qu'on a acheminées à Kernével, puis on a caché le reste. 

On défendait la même cause, mais on ne se fréquentait pas.

Ce qui est étonnant et navrant, dans tout ça, c'est le manque de coordination, les rivalités qui existaient entre les différents groupes de résistants. On défendait la même cause, mais on ne se fréquentait pas.  On se connaissait, mais on n'avait pas de contacts. On avait les mêmes motivations, mais les divisions étaient nées de rivalités extérieures et entretenues par des intentions politiques certaines. C'est sûr, l'efficacité en a été affectée.

[*]  Yvon Toulgoat, qui avait pourtant été membre du maquis FTP de Saint Goazec fut fusillé à Stang-Blanc le 10 aout 1944. Yves Galès, détenu à la mairie de Scaër, s'est officiellement suicidé, mais fut en fait pendu  par des résistants dans le hall de la mairie le 15 octobre 1944.( Sources : Wikipédia-Maîtron).

Retour