1872 : L'église romane du XIIe siècle en péril

 Le dossier complet  par l'ar­chitecte BIGOT relatif à l'ancienne église romane (avec ajouts gothiques),établi en 1872 et 1873 et conservé aux archives diocésaines à Quimper, est resté longtemps inédit.  Les renseignements ont été commu­niqués à M. KERVRAN par Mr le Chanoine LE FLOCH, archiviste de l'évêché de Cornouaille et du Léon ainsi que Monseigneur Vin­cent FAVE, ancien évêque auxiliaire de Quimper, qui fut vicaire à SCAËR..

Notre commune aurait pu conserver son église médiévale... 

Voici une analyse de ce dossier basée  sur les travaux de l'association pour la mise en valeur du patrimoine Scaërois à la fin du siècle dernier.

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L'ancienne église romane au milieu du XIXe siècle

 Un constat alarmant

Le 13 Avril 1872, M. Henri LE BIHAN (Maire de SCAËR de mai 1862 à février 1876) fait part à l'architecte du diocèse de l'état dangereux de l'Église "les murs se crevas­sant, la charpente fait entendre des craquements répétés et des pièces de bois menacent de tomber ainsi que des pierres".  Trois mois à peine après, le 1er Juillet, le conseil de fabrique écrit au Préfet du Finistère afin de l'informer de la menace pesant sur les paroissiens de SCAËR et sollicite une expertise et la reconstruction de l'église. Les fabriciens semblaient ignorer que l'architecte diocésain s’était déjà rendu à SCAËR, le 17 Avril et du le 23 du même mois, le curé BILLON avait déjà reçu un premier rapport alarmant de BIGOT. Ce premier rapport établi le 20 Avril édifiant quant à l'état déplorable de la partie l'édifice, de la charpente et de la couverture.

 "Les tirants des maîtresses fermes de pourris dans leur portée sur les murs; la prise principale de la charpente parait n'être que de 0,04 à 0,05 (4 à 5 centimètres).  Les sablières sculptées entre ces tirants tiennent à peine parce que l'emboîtement de leurs tenons est devenu presque nul par l'état vermoulu de ces bois.  Pour rete­nir momentanément quelques-unes de ces sablières, ont a pointé des tasseaux qui sont trop faibles... les tenons de ces sabli­ères seraient de 0,01 à 0,02 (1 à 2 centimètres)" ... ... Les fermes maîtresses des bas-côtés sont également vermoulues.  Elles sont devenues insuffisantes pour supporter les pannes-chevrons de couverture.  C'est ainsi qu'il existe une très grande cavité dans le toit du côté sud par suite d'un affaissement qui parait récent .... du côté nord, les fermes sont déversées.  Elles paraissent depuis longtemps s'être écar­tées du mur de la nef.  Afin d'en supporter les tirants, on a placé de faibles jambettes pattes-fiches contre le mur.  A l'endroit de ces pattes-fiches, les jambettes se sont voilées et la partie supérieure a subi une inclinaison vers l'exté­rieur.  En examinant attentivement l'état de ces fermes ont est étonné qu’elles soient encore en place... !!! .... En général, toute la charpente parait pourrie et vermou­lue dans cette église dont la nef remonte au XIlème siècle et le porche au XVème.  Les bas-côtés reconstruits et chapelles datent de la fin du XVIème siècle, sauf le bas-côtés nord et l'abside qui ont été faits à des dates modernes; le clocher a le caractère du XVIIIème siècle". (Ce clocher avait été cons­truit en 1789).

 Ainsi, les parties de cette église sont incohérentes de style.  Il n'y a que la nef qui soit intéressante par son cachet ancien qui embrasse cinq arcades de chaque côté.  Ces arcades à plein cintre surhaussé reposent sur des piliers mas­sifs (huit de 1 m 20 x 0 m 93 et deux situés près du transept de 1 m 66 x 0 m 93) encadrées (encadrant) à chaque extrémité par une colonnette centrale engagée dont les chapiteaux sculp­tés grossièrement sont accompagnés de corbeaux très simples   Les bases des colonnettes sont presque entièrement enfoncées dans le dallage 

la page de croquis de Bigot sur laquelle il a relevé le dessin de quelques chapiteaux

 La toiture du porche et des deux sacristies (construites ainsi que l'abside au début du XIXème siècle) est ruinée par vétusté.  La maçonnerie est également en mauvais état général, près le porche.  Une partie du mur du bas-côté (façade sud) est tombée et dédoublée.  Cette maçonnerie cède sous l'influence d'un vide qui parait être dans les fondations (Nota :l'ancienne Église de SCAËR était plus au nord que l’actuelle,le cimetière se développant au sud de l'Église et derrière l'abside; en outre, l’édifice actuel a été déplacé vers l'est d'une quinzaine de mètres par rapport à la situation de l'an­cien, ce qui eut, pour conséquence, de voir de 1891 à 1892 deux clochers l'un à côté de l'autre, séparés de quelques mè­tres seulement, jusqu'à ce que l'ancienne flèche soit démontée et transportée à GUISCRIFF).

L'église du XIXe siècle est en haut, l'église du XIIe siècle en bas.
A : rue du presbytère; B: Rue Le Coz; C: rue de la Paix


Photo de 1891-92. A gauche le clocher de l'ancienne église romane.
Dans l'ovale : la statue de Sainte Candide visible encore dans un jardin de la rue de Stalingrad

 Le mur des arcades (côté chœur) présente du même côté (Sud) un déversement ... La première arcade ogivale dans le haut de l'église est en ZIG! ZAC! (sic).  Cet état parait ancien, mais sa résistance étonne tant est grande sa défectuosité dont l'aspect, vu de profil, inspire un danger.

 L'aiguille du pignon Est est ondulée et déversée sans cependant faire naître la présence d'un danger.  Des deux côtés les murs de la nef sont crevassés.  Le pignon et les deux murs de la Chapelle Nord ont travaillé et présentent des lézardes.  Des fissures existent dans presque toute l'église.  Dans l'abside, les murs sont crevassés en quelques endroits bien qu'ils semblent à peu près d'aplomb".... A l'intérieur, les murs sont verdâtres dans beaucoup d'en­droits par l'humidité qui y règle.

 Des sections d'enduits sont tombées.  La mousse y pousse.  La boiserie des sacristies est complètement pourrie. Tout le lambris de l'Église est ruiné ....Tout le dallage est tellement ruiné qu'il présente un dan­ger dans les trous dont il est parsemé. Le clocher seul est bien conservé et parait solide. ( Sa flèche sera d'ailleurs conservée jusqu'en 1892, année où elle sera démontée et vendue à la fabrique de Guiscriff qui la remontera sur son église paroissiale)

Croquis  du clocher réalisé par l'architecte Bigot. 1789: date de sa construction.
La statue de Sainte Candide encore visible aujourd'hui rue de Stalingrad occupait
la niche au-dessus du porche


 Le bilan établi par Bigot est navrant et il conclut par ces mots "En résumé, s'il fallait absolument conserver cette église, il faudrait refaire toute sa charpente vermoulue, lambris, toiture, dallage et une assez grande partie des murs".

 Le curé de Scaër jubile

Ce constat désolant concerne la seule partie gothique édifiée à la fin du 16ême siècle, la charpente et la toiture. Bigot, dans ce succinct et précis rapport d'expertise, ne s'est attaché qu’à l'examen des parties malades de l'édifice, sans formuler d'opinion sur les parties saines qui, dans son esprit, devaient naturellement être conservées en l'état ou tout au plus recevoir quelques attentifs soins de restauration A la lecture du rapport de l'expert désigné par le préfet du Finistère et l'évêché, le curé de Scaër jubile.  Dans une correspondance logorrhéique, il presse ses supérieurs et l'ar­chitecte de mettre immédiatement à bas cette église pleine de dangers et de construire dans les délais les plus brefs une vaste et belle église, néo-romane ou néo-gothique, peu lui chaut, dans l'instant qu'un édifice neuf et vaste accueillera ses paroissiens.

Bigot complète son rapport d'expertise du mois d'avril par une lettre datée du 4 juin adressée au préfet du département : "Il serait très possible de conserver la nef de l'église de SCAËR dans sa partie romane du 12ème siècle qui a de lon­gueur 19 m 50 sur 6 m de largeur car cette partie est très solide....Je sais combien est grande la ténacité du Curé qui voudrait tout démolir dans la seule pensée de faire mieux.  Je respecte ce sentiment qui est le sien, mais je me rangerai de préférence à celui du regretté évêque Sergent qui m'avait dit que tant qu’il vivrait, il donnerait son appui pour la recons­truction de l'Église tant qu'on ne démolirait pas la nef romane ....En conservant la partie romane, on pourrait inévitable­ment conserver le clocher, le porche et le reliquaire (cet ossuaire se trouvait contre la façade sud de l'Église entre le beau porche du XVème siècle et l'angle Sud-ouest de l'Église).  Tout le reste serait démoli et refait dans le style roman "...

 Études complémentaires

 Bigot conclut sa lettre par une réitération de son opinion "préférant une restauration ou reconstruction partielle qu'une réfection entière de style gothique qu'on rencontre partout. Les instructions ministérielles tendant à la conservation de la partie romane qui est très solide parce que bâtie à chaux et à sable; ce type, quoique très simple, a un caractère très rare dans la Bretagne. Mon opinion et mes sentiments sont donc de respecter la nef romane et de faire les bas-côtés, transept, abside et complément de la nef et du chœur dans le style roman "

Bigot souhaitait conserver la nef romane

Cette lettre de l'architecte au préfet faisait suite à un second rapport des 3 et 4 juin 1872, établi par Bigot, qui n'a pas été conservé. Le Curé de SCAËR, fort dépité de cette seconde expertise qui ne répondait pas à ses vœux, se lance alors dans une vé­ritable campagne d'intoxication pour circonvenir le Conseil de Fabrique, l'évêché et la municipalité de SCAËR, et les amener à épouser son obsession : raser l'Église ancienne. Infatigable et habile épistolier, il parviendra en quelques mois à ses fins. 

Une troisième expertise effectuée par une commission composée de M. BIGOT, M. HAGRE, entrepreneur à Lo­rient le 30 Juillet conduira le Préfet du Finistère à fermer l'église de SCAËR par arrêté en date du 18 Septembre 1872. Un peu abusivement, Joseph BILLON, curé de SCAËR écrit le 28 octobre au vicaire général de QUIMPER : "Notre vieille Église a été condamnée en avril, par Monsieur BIGOT, architec­te, en juillet par une Commission d'experts et, en octobre présent par une contre-expertise.!!!!"

Le porche sud avec à sa gauche l'ossuaire,
à sa droite le calvaire sis aujourd'hui  rue Brizeux

 Le problème des fondations

Bigot avait résisté de son mieux à l'assaut mené par Bil­lon, contre tout projet de restauration de l'ancienne église, soutenu par le préfet qui rappela dans une lettre du 18 Juin à Monseigneur l'Évêques que l'architecte optait pour une reconstruction "dans l'intérêt de la conservation d’un monu­ment remarquable dans quelques-unes de ses parties".  Le préfet menait un combat d'arrière garde en arguant : "je dois dire un mot à Votre Grandeur d'une difficulté qui se présenterait dans le cas où il faudrait reconstruire l'Église de SCAËR.  Le désir de la fabrique et particulièrement du clergé serait de la déplacer en l’éloignant du presbytère, ce qui forcerait à fonder (faire les fondations de la nouvelle église) dans le "cimetière communal où l'on n'a pas cessé d'inhumer. or, "d'après la loi, aucune fouille ne peut être pratiquée dans un "cimetière moins de dix ans après son abandon. Il y aurait là le un empêchement sérieux".

D'octobre 1872 à Juillet 1873, le curé de SCAËR poursuit son travail de harcèlement auprès des autorités civi­les et religieuses, trouve les 88.000 Francs nécessaires à la construction et l'église nouvelle, exaspère BIGOT en exigeant l'obtention d'une sacristie octogonale accolée à la chapelle Sud de la future église absidiole néo-romane), mais le pro­blème d'effectuer des fouilles pour les fondations dans le cimetière le taraude, alors que la démolition totale de l'église, hormis la tour du clocher, est en cours.  Joseph BILLON obtient de la municipalité de SCAËR la création d'un nouveau cimetière en bordure de la route de ROUDOUALLEC et un arrêté municipal du 22 juin 1873 prescrit que les inhumations se feront dans le nouveau cimetière à partir du 30 Juin inclu­sivement.

 Le lundi 23 Juin, le curé de SCAËR avait écrit à BIGOT :" Le vieux cimetière est supprimé.... Dans la journée d'aujourd'hui, les trois quarts des tombes - et les princi­pales sont enlevées; pas de murmures". Au début du mois de Juillet 1873, l'architecte BIGOT procède au tracé définitif des fondations et autorise le début des travaux de fouille, mais il reste encore quelques tombes dans le cimetière et certaines ont moins de dix ans !  Profaner les tombes ou construire la nouvelle église BILLON n'hésite point.  Un après-midi de Juillet, il réunit au presbytère une trentaine de maçons et de manœuvres et moyen­nant quelques pièces d'argent et quelques litres de cidre et de vin, il les convainc de se retrouver le soir même, à la nuit tombée, dans le cimetière, avec pioches, pics et pelles. 

A la lueur de lampes sourdes, les tranchées de fon­dation de la future église furent creusées, des cercueils con­tenant, soit des ossements épars, soit des squelettes entiers furent éventrés. Le curé avait fait placer dans l'ancien cimetière un grand chaudron où l'on chauffa de la résine et tous les os ré­cupérés furent trempés et enduits de cette gomme bouillante avant d'être à nouveau enfouis dans une fosse commune creusée à la hâte.

Quelques paroissiens du voisinage, alertés par ce feu allumé dans l'ancien cimetière se rendirent sur les lieux et crièrent au sacrilège.  L'abbé BILLON les en chassa, mena­çant de les ébouillanter avec la résine en fusion ( Nous devons cette anecdote à Mgr FAVE, qui l'avait recueilli auprès d'anciens Scaërois qui avaient assisté à ce scandale)

Dessin de Bigot avec une recommandation

Cette démolition inconsidérée, due à l'acharnement du Curé Joseph BILLON, a privé notre patrimoine d'un bel édifice roman original avec ses massifs piliers rectangulaires adornés de fines colonnes, sur les faces les plus étroites, surmontés de splendides chapiteaux à motifs géométriques enchâssés entre deux corbelets disposition rare en Bretagne.

 C'est à un véritable massacre d'un ensemble archi­tectural, hétérogène certes, mais néanmoins caractéristique de l'art roman de la fin du XIème siècle ou début du XIIème, où virent s'ajouter au XVème siècle, divers éléments gothiques et un clocher du XVIIIème siècle, transféré en 1892 à GUISCRIFF et coiffant aujourd'hui l'Eglise paroissiale de cette commune.  Piliers, colonnes, chapiteaux, fenêtres-meurtrières tout a disparu, même l'élégant porche gothique du XVème siècle fut livré aux démolisseurs.  On ignore toujours si les vingt deux chapiteaux et colonnes ont été réduits en morceaux réemp­loyés ailleurs ou vendus à des particuliers nul document n'en faisant mention. L'architecte BIGOT souhaitait conserver la partie romane de l'Eglise  mais il dut se plier aux pressions exercées par le clergé local et la Municipalité.

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Au-dessus de l'Isole, au sommet d'un coteau culmi­nant à 176 mètres d'altitude s'élève aujourd'hui  l'église néo-romane du bourg de SCAER édifiée entre le mois de Juillet 1873 et le mois de Juillet 1874, suivant les plans établis par l'archi­tecte diocésain Joseph BIGOT, par l'Entreprise JASSIS de CHATEAULIN, à la demande du Maire, Henri LE BIHAN et du conseil de fabrique présidé par le curé de SCAER Joseph BILLON. Le nouveau clocher et sa flèche furent construits en 1890 et 1891 et BIGOT délivré le certificat de réception des travaux le 21 Septembre 1891.


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