Mariages et veillées à la fin du XIXe siècle


 En 1969, c’était le début des magnétophones à cassettes. Les prêtres de la paroisse de Guiscriff enregistrèrent trois anciens de plus de 80 ans pour recueillir leur témoignage sur leur enfance. Des extraits furent publiés dans « Kleïer Ma bro », le bulletin paroissial sur le bourg, concernant l'église, la surélévation du clocher, l'école des garçons … 

Voici quelques extraits concernant  les mariages et les veillées.


On dansait au son des binious et bombardes… (Adolphe Pierre Leleu-1863- musée B.A Quimper)


Mariages

On se mariait en 1890 autant que maintenant. Mais les noces ne devaient pas ressembler à celles d'aujourd'hui. Alors racontez-moi comment cela se passait.
-La première noce à laquelle j'ai assisté c'est celle de Barthélémy Le Bec. J’avais 7 ou 8 ans.
-Moi c'est celle du père de Jean Bourhis à Kerandraon. J'avais 5 ou 6 ans je me rappelle encore celle de Louise Toulgoat, à Pellé.
-J'y étais aussi même qu'un étalon s'était détaché et qu'il avait fait une vie de tous les diables
-Comment commençait la journée ?
-On se rendait d'abord chez le fiancé à pied bien entendu pour nous mettre en train. On nous servait un petit coup de fort, avec lagoutte, et toute l'équipe se rendait chez la jeune fille. À une certaine distance de la maison on se mettait à crier : oh oh oh et on approchait doucement. Près de la porte s'engageait une discussion entre le père de la fiancée et un représentant du fiancé : que venez-vous faire ici ?
-Nous venons chercher une petite bonne chez vous.
- Il n'y a pas de petite bonne ici !
La conversation durait parfois 10 minutes ; enfin la porte s'ouvrait. Le fiancé entrait, cherchant sa promise. Parfois il recevait un coup de balai. La plupart de temps il trouvait celle qu'il cherchait cachée derrière une porte ou une armoire. Avant de partir tout le monde cassait la croûte : soupe au lard et crêpes à l'eau. Déjà en 1890 on commençait à servir des crêpes au lait, mais alors des crêpes énormes, avec une on en avait assez.
-Vous veniez au bourg en chantant ?
- Oh non pensez donc. Il fallait parfois 8 ou 9 km à pied. Il n'y avait pas de cortège organisé, on venait comme une bande de moutons quand on était prêt. Les fiancés allaient d'abord à la mairie, derrière l'ancienne école.
Et ensuite à l'église. Évidemment tout était en breton : cantique, sermon . À cette époque on célébrait beaucoup de mariages dans les chapelles. Moi par exemple je me suis marié à Saint Tugdual. C'était sans doute à cause des distances.
- Où se faisait le repas de noces ?


Sur cette carte postale de Scrignac, pas d'échelle pour servir de table.
Un fossé à été creusé de part et d'autre de la butte de terre sur laquelle
ont été posées des planches.

- Quelquefois dans un bistrot du bourg. Mais la plupart du temps à la campagne, chez le marié ou la mariée. Les jours précédents, on tuait deux ou trois bêtes. Généralement un jeune taureau et une vieille vache pour faire la soupe. On mangeait dans les crèches, dans les étables, les hangars, partout où l'on pouvait fourrer quelqu'un. Quand il faisait beau, on dressait des tentes avec des bâches. C'était aménagé bien entendu, on avait fait évacuer auparavant les chevaux les vaches et parfois les cochons. Il n'y avait pas de table simplement une échelle posée sur des piquets avec une ou deux planches par-dessus.

-La soupe à la vieille vache! ça c'était de la soupe ! On n’en a jamais fait mieux depuis. Je n'ai jamais mangé de soupe comme celle-là. Après la soupe il y avait du ragoût et des tripes.  Ensuite on servait le lard et la viande de bœuf mais personne n'y touchait. Non car ils avaient déjà assez mangé après la soupe de vieille vache, ragoût au chou pomme de terre et rutabaga, après une ventrée de Sklipou .Et comme boisson du cidre.  A la fin du repas un petit verre de vin ou de la goutte, mais pas de café.

-Est-ce que chacun payait son repas oui tout comme maintenant. 

-Le père et la mère du marié s'installaient dans un coin et chacun lui versait son dû. 50 sous dans les premiers temps, 3 francs aux environs de 1905.

Pendant le repas on chantait en breton puis on dansait au son des binious et bombardes au bourg on dansait sur la rue; à la campagne dans l'aire à battre. Cela durait deux trois quatre jours jusqu'au vendredi qui était la journée des pauvres. Ce n'était d'ailleurs pas les mêmes personnes qui allaient les trois jours. Et puis la dernière nuit, on servait la soupe au lait. C'était le signal du départ chacun rentrait chez soi.


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Une veillée en 1895 à la campagne

Autrefois il n'y avait ni radio ni télévision. Mais les gens se rencontraient le soir et participer à des veillées

- Comment cela se passait-il ?

-On se réunissait à peu près tous les samedis tantôt chez la tantôt chez l'autre.

-Dans quelle pièce vous réunissiez-vous ? 

-Oh la la, il n'y en avait pas 36. Il n'y en avait qu'une, elle servait à la fois de cuisine de salle à manger et de chambre à coucher… quand elle ne servait pas d’étable !

-Vous étiez sans doute assez nombreux. Cela dépendait quelquefois dix, quelquefois 20, quelquefois davantage. Un grand feu flambait dans l'âtre et on se mettait tout autour. Certains même, pour se chauffer les pieds, s'asseyaient dans la cheminée sur un petit banc.


Un grand feu flambait dans l'âtre  (  Photo Jos Le Doaré)
 

-Comment passez vous le temps ?  C'était assez varié point en général. Quelqu'un lisait un passage de la vie des saints, en breton évidemment. Ensuite on chantait des chansons bretonnes du vieux temps.

-Il y avait en général deux chanteurs le second répétant ce que chantait le premier. Quand ces deux-là était fatigué, deux autres les remplaçaient et ainsi de suite. À cette époque, on connaissait une bonne douzaine de chansons. C'était toujours un peu les mêmes qui revenaient. On racontait aussi des histoires, des "Konchennnou" on les appelait. C'était des histoires du pays oui mais aussi des souvenirs du temps de Napoléon ou des histoires de loup. Je me rappelle avoir entendu chanter une fois la chanson de Napoléon mais pour dire ce qu'elle contenait je ne m'en souviens plus.


Quelqu'un lisait un passage de la vie des saints

 La guerre de 1870 n'a pas laissé tellement de souvenirs par ici. il n'y a pas eu beaucoup de victimes et elle s'est terminée assez rapidement. Cependant à quelques-uns avaient fait partie de l'armée bretonne rassemblée au camp de Conlie près du Mans en novembre 1870. Les mobilisés bretons furent parqués dans ce camp pendant plus d'un mois. Sans arme, mal vêtus, mal nourris, par un froid très rude, ils furent vite démoralisés. Beaucoup tombèrent malade. Gambetta, le chef du gouvernement de l'époque, se méfiait des Bretons. Peut-être craignait-il une nouvelle chouannerie. En tout cas cet épisode a laissé dans les mémoires une profonde rancœur. J'ai entendu deux ou trois rescapés de Guiscriff raconter les misères qu'ils avaient subies à Conlie. Ce n'était pas bien bon.

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