De Sainte Vengu à Sainte Candide


Le "Pardon de Scaër" du dernier week-end du mois d'août, autrement dit " la fête patronale", doit son existence à un culte religieux très ancien, celui de Sainte Candide.  Dans un long  article paru dans le bulletin de la société archéologique du Finistère ( S.A.F.) en 1893, le vicomte de Villiers du Terrage (*) évoque l’origine du culte  de Sainte Candide à Tourc’h et à Scaër sur deux sites en bordure de l'antique  route gauloise puis romaine de Quimper à Scaër via Elliant...

De part et d'autre de l'Aven

 

Vue récente de la chapelle de Locunduff  à Tourc'h à proximité de Ty-Men  (photo Yannick Bleuzen)

« La chapelle de Sainte-Candide est située au village de Locundu, autrefois Locunguff, à 400 mètres environ de la motte de Coatheloret, et sur le chemin d'Elliant à Scaër…Je ne signalerai à l'intérieur de la chapelle qu'une statue en pierre de Sainte-Candide d'un bon style et fort intéressante en raison de son ancienneté. La sainte est représentée en costume d'abbesse, debout, tenant de la main gauche un livre et dans la main droite le bâton d'une crosse qui a été brisée. Le culte de sainte Candide, qui est également patronne de l'église paroissiale de Scaër, est peu répandu, car d'après l'abbé Abgrall, il n'y en aurait pas d'autres exemples en Bretagne.
D'autre part, le nom même de Locundu appelle l'attention et on peut se demander quel est le saint personnage, actuellement oublié, que rappellent les noms des deux villages voisins, Locundu-Tourc'h et Locundu-Scaër situés de part et d'autre de l'Aven. Quel rapport pouvait-il y avoir entre ce personnage et sainte Candide ?

 
Locundu est orthographié aujourd'hui Locunduff.  A Scaër comme à Tourc'h, une chapelle était dédiée à Sainte Candide au Moyen-Âge. La chapelle du manoir de Locunduff en Scaër était déjà en ruine sous Louis XIV.

 

Sainte  Vengu

Je crois avoir trouvé l'explication dans l'aveu déjà cité d'Auffray du Chastel, où en 1619, le nom de la sainte désignée comme patronne de la chapelle, avait d'abord paru inexplicable. Sur ma demande, M. Léon Maître a bien voulu étudier de nouveau le texte original, et il m'écrit qu'il ne peut lire autre chose que sainte Vengu, patronne de Locunguff.
Cette lecture parait très admissible. Vengu serait alors une forme intermédiaire, qui est devenue dans la langue parlée Uen-gu ou Ungu, et qui dériverait elle-même d'une forme Guen-guff où on trouve l'adjectif"  gu" ou gui  primitivement cunel (
sens: doux) avec le mot "guen",blanc, comme équivalent de candide »

En clair, Guen-Gu équivaudrait à blanc et doux. L'auteur de l'article poursuit :
« J'estime donc que Locundu n'est autre chose que Loc-guengu. Mais si sainte Guengu est complètement oubliée à Tourc'h et à Scaër, son nom se retrouverait légèrement modifié dans le surnom de sainte Ninnoc Guengustle. La légende de cette sainte, que M. l'abbé Abgrall m'a signalée, a été écrite par Gurhéden, moine de l'abbaye de Sainte-Croix, de Quimperlé, vers 1100.
 Elle est analysée dans la Vie des Saints, de M. de Garaby, et reproduite assez complètement dans l'édition d'Albert Le Grand, annotée par M. de Kerdanet. Le texte complet Acta sanctae Ninnocae se trouve dans les Bollandistes à la date du 4 juin ; il est long et diffus et Dom Lonbineau l'écarte dédaigneusement au point de vue historique. La légende est toutefois intéressante et elle peut notamment servir à expliquer le surnom de sainte Ninnoc, Guengustle, surnom qui, premier point à établir, est correctement transcrit. Cela n'est pas douteux, car une forme analogue, Zent Urgustle, se trouve dans le Cartulaire de Landévennec.

 ou Sainte Ninnoc

Je ne reproduirai pas, même en l'abrégeant, la vie de sainte Ninnoc, et me bornerai à rappeler les circonstances qui ont précédé sa naissance. Le roi gallois Brochan,et sa femme Meneduc avaient eu 14 fils (d'après les légendes galloise 24 fils et 26 filles. D'après une autre légende dix fils et deux filles) qui avaient tous quitté leurs parents pour aller au loin prêcher l'Évangile. Le roi n'ayant plus d'héritier de son royaume se désolait, et après avoir beaucoup prié, fait d'abondantes aumônes, il finit par se retirer sur une montagne pour jeûner et implorer Dieu. Après quarante jours, l'avant-veille de Pâques, un ange lui apparut pour lui annoncer qu'il aurait eu une fille et que cette fille serait la cause d'une grande joie dans toute la Bretagne. Cette promesse se réalisa et l'enfant baptisée par un prêtre irlandais du nom de Colum, reçut de lui le nom qui avait été indiqué par l'ange, c'est-à-dire Ninnoc Guengustle.
Cette fille grandit en sagesse et en beauté, mais arrivée à l'âge de se marier, elle s'y refusa absolument, parce qu'elle s'était promis de se consacrer au Seigneur. Ses parents furent très attristés ; ils finirent cependant par lui accorder la permission de s'embarquer pour l'Armorique avec ses parrain et marraine. Elle débarqua à Poulilfin, en Ploemeur (Morbihan), et fonda dans cette paroisse un monastère de femmes, le premier, dit-on, qui ait existé dans les Gaules. Il était situé à Lannenec, autrefois Landnennoc, en Ploemeur.
On peut donc dire que la sainte avait été vouée et consacrée au service de Dieu par les paroles de l'Ange avant sa naissance, ce qui permet d'expliquer le mot Gustle au moyen Goestla, du verbe consacrer, vouer.


 puis Sainte Candide

Si aujourd'hui les paroisses de Tourc'h et de Scaër n'ont conservé aucun souvenir dans leurs offices de sainte Ninnoc, dite sainte Guengu, on y voit encore deux anciennes statues de cette dernière sainte. L'une, située à Locundu, a été déjà citée et représente incontestablement une abbesse. L'autre, qui est conservée à Scaër, était placée sur la façade de l'église paroissiale  démolie il y a une vingtaine d’années ; elle présente une ressemblance très grande avec la statue de Locundu, par le costume, par la pose et les attributs, consistant en un livre dans la main gauche et dans la main droite une crosse qui est brisée à la hauteur de la main. Il y a là une concordance qui permet d'affirmer que la sainte patronne de Scaër et de Locundu  était une abbesse.»

Ces descriptions correspondent bien aux statues ci-dessous . Ce texte a été écrit en 1893 et l'ancienne église  de Scaër a bien été démolie en 1873

Sainte Candide,  statue de la chapelle de Locunduff  à Tourc'h (photo Yannick Bleuzen)

La statue de Sainte Candide provenant de l'ancienne église de Scaër . Elle était placée autrefois en bordure du chemin de la Vieille Source.



« J'ajouterai que cette abbesse ne peut être que sainte Ninnoc qui a joui dans ces temps éloignés d'une grande célébrité comme fondatrice d'un monastère peu éloigné « où la ferveur religieuse se soutenait avec la plus grande édification. ». Il serait au contraire impossible de justifier la présence de ces attributs si on voulait les appliquer au nom de Candide…

Il reste toujours à expliquer comment a disparu le nom de sainte Ninnoc, si cette sainte a été réellement la première patronne de Scaër. En tous cas, il n'y aurait pas là un changement de patron, fait qui s'est souvent produit et quelquefois sans que les motifs du changement soient légitimes. Il s'agirait seulement de la substitution au nom d'une sainte tombée dans l'oubli, d'un surnom qui en avait été inséparable. Quand le changement se sera-t-il produit ? Il est impossible de le dire, mais on peut supposer qu'il se rattache aux circonstances qui ont amené la suppression du monastère de femmes de Landnennoc au 11e siècle et son remplacement par un prieuré d'hommes dépendant de Sainte-Croix de Quimperlé.
Le surnom de la sainte traduit en latin par Candida (en breton Candid, vulgô Canita) sera devenu le nom de patron de l'église de Scaër. Dans la campagne plus isolée de Tourc'h, le surnom a également remplacé le nom principal, mais en conservant la forme bretonne contractée Guengu ou Vengu jusqu'au commencement du 17 siècle. A partir de 1619, ce nom disparaît et il n'est plus question que de sainte Candide.


Avec humilité , quant à la véracité de son hypothèse, M. de Villiers du Terrage conclut :« Il y a en Bretagne et dans le reste de la France de nombreux exemples du changement de vocable des églises et chapelles. Ils paraissent quelquefois difficiles à expliquer : et il faut alors remonter aux sources,… J'ajouterai qu'il faut étudier, non seulement les sources, mais encore les formes intermédiaires qui ont aussi leur importance. C'est ce que j'ai cherché à faire pour établir l'identité de sainte Ninnoc et de sainte Candide, en attendant la découverte d'un document qui permettrait de trancher la question définitivement ».

(*) :Edouard de Villiers du Terrage (1849-19xx) : inspecteur général des Pont-et-Chaussés, vicomte propriétaire du château de Kerminihy en Rosporden, vice-président de la société archéologique du Finistère, auteur de nombreuses études et publications historiques .
Source : Extrait d'un article de la S.A.F. - contribution de Azilis Pichon.

Dans l'inventaire  des archives départementales de Loire Atlantique concernant les " aveux  et dénombrements" de Scaër, il est question d'une chapelle à Locunduff en Scaër " Dans le placître duquel manoir est une ruine et vestige d'une chapelle dédiée autrefois sous l'invocation de Sainte Candide" ( terriers de Conq-Fouesnant-Rosporden, 1671)



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