Libération. L’énigme de la mort de Yves Le Galès


Yves Le Galès est né le 3 février 1911 à Vallauris près de Toulon où son père, originaire de Penvenen (22) était second maître canonnier de la marine. Le 15 mai 1935 alors qu’il était employé à la papeterie de Cascadec, il épousa Félicie Toulgoat. Le couple aura 3 enfants.

Trois versions pour son décès

 D’après un document d’archives de la surveillance du territoire à Quimper daté du 18 décembre 1944, il fut arrêté à Nantes le 5 octobre 1944 ainsi que son épouse « sur la demande de M. Toupin François, représentant de commerce à Scaër… Galès a reconnu que par sa dénonciation aux autorités allemandes il était responsable de l’arrestation de M. Toupin… Transféré à Scaër, Galès s’est pendu dans sa cellule». Une notice biographique du Maîtron annonce qu’il a été « exécuté » le 15 octobre 1944 . Autrement dit, il aurait été "suicidé". Le registre des décès de l’état civil de la commune annonce que le 15 octobre 1944 à 3 heures Yves Le Galès est décédé « à son domicile », un acte signé par le Dr Raynal et René Carer, président de la délégation spéciale: un faux en écriture publique puisque Yves Le Galès a été pendu dans le hall d'entrée de la mairie!

La mairie a été le cadre d'une exécution sommaire le 15 octobre 1944


Trois versions pour une affaire sur laquelle les témoins de l’époque se sont montrés bien discrets. Les Scaërois de longue date en ont perçu des échos sans plus. Une certaine omerta planant au-dessus de ce dossier aussi sulfureux que celui des fusillés de Stang-Blanc .


Yves Le Galès officiellement décédé " à son domicile" sur le registre d'état-civil




Réclames faites par Yves Le Galès
dans " Ouest-Eclair"

.

Dénonciation mutuelle


 Les archives de la sureté nationale précise que Yves Le Galès fut arrêté en décembre 1943 « comme étant chef de terroristes ». Ce qui laisse supposer qu’il faisait partie de la Résistance. Il fut relâché après 9 jours de détention. 

Puis Mme Le Galès  déclara aux enquêteurs de la sureté nationale :« Le 1er mai 1944, mon mari a reçu une lettre de menace et a quitté Scaër et j’ignorais son lieu de refuge ». Le 20 juillet, elle se rendit à Nantes pour travailler selon son témoignage. Coïncidence: elle y retrouva son mari et ils vécurent ensemble jusqu’au 4 octobre, date où le couple a fut arrêté par  Robert (1) Toupin qui reprochait à Yves Le Galès de l’avoir fait arrêté. Le couple a été reconduits à Scaër le 13 octobre. Le 15, Yves Le Galès est déclaré décédé et son épouse a été conduite à la prison Saint Charles de Quimper.  
Poursuivons le fil de cet histoire par le témoignage de M. Toupin en date du 24 novembre 1944: «J’ai été mis en état d’arrestation par la Gestapo à la suite d’une dénonciation faite par Gallès Yves. Dès la Libération de Scaër, je me suis mis à sa recherche et je l’ai retrouvé à Nantes avec son épouse. J’ai fait mettre les époux Gallès en état d’arrestation. Galès s’est pendu dans sa cellule et sa femme a été placée à Saint Charles». Effectivement, à une époque non précisée dans les archives, M. Toupin a été emprisonné à la prison Saint Charles de Quimper en compagnie d’un autre scaërois de Miné-Maes dont il s’est évadé par le réseau d’égout malgré sa forte corpulence.
Dans ce document, le commissaire de police Lemoine précise que M. Toupin était à cette époque représentant de commerce (2)… comme M. Le Galès dont nous avons retrouvé des annonces publicitaires dans l’Ouest-Éclair. M. Toupin est considéré comme " le principal témoin "dans cette affaire. 

S’agissait-il d’un conflit d’intérêt entre deux commerçants concurrents ou d'une rivalité amoureuse ?  L’un dénonçant l’autre tour à tour aux autorités allemandes. 

Il est possible que la lettre de menaces reçue par M. Le Galès en mai 44 provienne de M. Toupin qui se voulut se faire justice après la Libération de Scaër le 4 août : « Je procède moi-même à une enquête » dit-il à propos de Mme Le Gallès « Elle doit être mise en résidence surveillée à Scaër afin que nous puissions l’interroger si des faits nouveaux parvenaient à notre connaissance ». Le pronom « Nous » laisse supposer qu’il n'agit pas seul : il avait le statut de Résistant, ce que corrobore sa fiche « d’interné résistant » au service historique des armées ( SHD). Dans le procès-verbal de son audition par la sureté nationale, Mme Le Galès confie qu'elle ne vivait pas " en très bonne intelligence" avec son mari. 

L'implication de M. Toupin, (avec d'autres résistants ?), dans l'exécution de M. Le Galès est plausible , voire probable... Dans les années 50, Robert Toupin, un personnage truculent ,surnommé « Loer » gérera une boucherie dans l’immeuble de l’actuel centre Brizeux.


Le témoignage de M. Toupin
cliquez pour agrandir




M. Toupin exploitera après guerre une boucherie 
dans l'immeuble  devenu le centre Auguste Brizeux.




Destins croisés

Le destin de Yves Le Galès croise celui de son beau-frère Yvon Toulgoat, le frère de son épouse Félicie. Résistant FTP, Yvon Toulgoat  avait fait partie du premier maquis de Saint-Goazec en 1942/43. Il fut fusillé au matin du 10 août 1944 avec deux jeunes filles Jeannette Laz et Marie-Jeanne Le Noach. Tous les trois étaient accusés d’avoir renseigné l’occupant sur les parachutages d’armes à Miné-Kervir . Un jugement ultérieur déclara Yvon Toulgoat non coupable . Sa mère aurait même reçu une pension par la suite selon la lettre (non signée) relatant ces faits quelques jours après la Libération de Scaër. 

Fusillé à Stang-Blanc mais déclaré décédé à son domicile !!!


L'extrait du document de l'IDBE relatif à Yvon Toulgoat


Son nom n’est pas sur la plaque apposée en 2018  à Stang-Blanc, où il fut fusillé  après un jugement sommaire par un tribunal d’exception. En 2021, le nom Yvon Toulgoat, avait été cependant associé à l'hommage rendue aux deux jeunes femmes.
 Y-avait-il un lien entre les exécutions sommaires d’Yvon Toulgoat le 10 août 1944 et d’Yves Le Galès le 15 octobre ? Deux affaires bien mystérieuses qui demandent toujours à être éclaircies

***

(1)   Robert est le 3e prénom de M. Toupin François Louis Robert. Il était plus connu à Scaër sous ce dernier prénom.
(2)   Robert Toupin avait des activités commerciales durant la guerre " Vins en gros" . Il exploitera aussi après la guerre  une boucherie rue Emile Zola, et son épouse un café.

Sources : Archives de la sureté Nationale- Document de l'IDBE, Guingamp - Maîtron

Retour