On n'écrit pas l'histoire avec une gomme



Le 10 août 1944, un événement dramatique a eu lieu sur le site des carrières de Stang-Blanc : deux jeunes filles et un jeune homme ont été fusillés, après un jugement sommaire par une cour qui n'avait de « martiale » que le nom. C'était la période de l'épuration qu'un euphémisme qualifie « d'extra légale ». Ces faits ont été ensuite enfouis au tréfonds de la mémoire par les connaisseurs, par crainte de représailles.  De plus, les trois victimes n'ont jamais été recensées sur les listes officielles des victimes de ces exactions. Cette pesante Omerta  a duré plusieurs décennies.

 Se basant sur un « relevé de mémoire » de témoins de l'époque, accrédité par les historiens et corroboré par un poème de Youenn Gwernig, un autre devoir de mémoire s'imposait 73 ans après les faits.

 

Mieux vaut tard que jamais: depuis aout 2018, à Stang-Blanc,
une plaque rappelle cet épisode douloureux de l’histoire locale


Accusées de délation 

 

Ce témoignage non signé de 1994 est conservé à l'IDBE  de Guingamp. L’annotation manuscrite est de Yann Fouéré
(cliquez sur la photo pour lire le texte)

Les  noms des membres de la "Cour Martiale", à part celui du commandant de la place, ont été masqués car leurs familles actuelles ne sont pas responsables.

  Voici les faits, tels que les témoins les ont retracés. Deux jeunes filles, Marie-Jeanne Noac'h, 22 ans, et Jeannette Laz, 21 ans, qui travaillaient au dépôt de munitions de la forêt de Coat-Loc'h, furent arrêtées le dimanche suivant la Libération. Et ce, sur dénonciation par une sentinelle de la Résistance, route de Pont-Meur : on les accusait d'avoir des amants allemands. Elles seront menacées d'être tondues, sauf si elles avouaient avoir dénoncé le lieu du parachutage du 14 juillet qui fut à la source des combats de Kernabat (15/07/44). Terrorisées, elles avouèrent tout ce qu'on voulait leur faire dire. Néanmoins, elles furent tondues, goudronnées et promenées dans le bourg sur deux chevaux. " J'ai sali mon uniforme" confiera  plus tard un  ancien capitaine de la première guerre mondiale emporté dans le tourbillon de cette cavalcade dans les rues du bourg.

Un simulacre de jugement mené par le commandant FFI de la place, un chef FFI fils du médecin local, et trois résistants FTP (le « colonel » responsable du second parachutage de Miné-Kervir, le présumé exécuteur de l'abbé Perrot et le fils d'une commerçante déportée) condamna à mort les deux jeunes filles ainsi qu'Yvon Toulgoat, 26 ans, qui avait la réputation d'être un « délateur ».


Jean Bourhis (à droite) se souvient avoir vu les deux filles maltraitées
dans la cour de l'école Saint Alain

Un déni de justice 

 

Séquestrées dans une étable, les jeunes filles seront battues, violées en collectivité et subiront d'autres mauvais traitements. Au petit matin du jeudi 10 août, le trio de condamnés fut fusillé à Stang-Blanc, où se cachaient les Résistants durant l'Occupation. Un témoin rapporta « qu'une des filles avait été mise encore vivante dans le cercueil : le colonel FTP l'acheva de deux coups de pistolet en pleine tête ». Une des filles était enceinte : on ne saura jamais si c'était d'un soldat allemand où d'un petit gars du coin...

. Dans la matinée, le commandant de la place se rendit à la mairie pour faire les déclarations de décès et situa le lieu de décès « au bourg, son domicile ». Le maire de l'époque contresigna cette déclaration, sous la menace semble-t-il. 

 

Extrait du registre des décès de Scaër


Plus tard, il fut admis qu'aucun des trois condamnés n'avait dénoncé le maquis. Les Allemands, à la recherche de la zone du premier parachutage à partir des hauteurs de Toulaéron ( entre Gourin et Spézet) d'où l'on a une vue complète sur la région, avaient repéré eux-mêmes Miné-Kervir alors que le second parachutage avait lieu sur le même site que le premier largage. 

 

Extrait du témoignage de Pierre Monfort à propos du parachutage à Miné-Kervir (20-07-1994)

Certains témoignages avancent aussi que des Résistants trop bavards auraient évoqué ce second parachutage dans les cafés du bourg où trainaient des oreilles complaisantes avec l'occupant.

"A l'époque, seuls les initiés connaissaient les dessous": le code secret détenu par les FFI avait été intercepté par les FTPF commanditaire du second parachutage sur le même terrain. Les responsables de ce 2e parachutage ont-ils cherché un bouc émissaire pour expliquer la tragédie de Kernabat et éluder leur responsabilité " relevant de la cour martiale" selon le document conservé à l'IDBE.

Toujours est-il que la population terrorisée ne parla pas, les initiés se turent et une chape de plomb s'abattit pendant des décennies sur ce déni de justice. Une Omerta qui a duré près de 3/4 de siècle! Mais " On n'écrit pas l'Histoire avec une gomme". N'en déplaise à ceux et celles qui ne souhaitaient pas voir remuer un passé peu glorieux de l’histoire locale.

 


L'inauguration de la plaque  en mémoire de cet épisode douloureux de l’histoire locale le 10 août 2018

en présence de Joseph Noach, frère de Marie-Jeanne (2e à gauche)


 Se souvenir, sans juger

En août 2017, cette Omerta, cette " loi du silence" fut enfin brisée .L'Anacr a même exprimé publiquement sa désapprobation quant à cet épisode sombre de la Libération.: «  Il ne nous appartient pas d'estimer, avec notre regard actuel, la véracité et la gravité de ce qui  était reproché à ces jeunes filles par cette juridiction d'exception. Nous pouvons cependant regretter qu'elles n'aient pas eu un procès équitable, basé sur des preuves tangibles et vérifiées».
Le 10 août 2018, une stèle rappelant ces faits fut inaugurée  près de la déchèterie de Stang-Blanc. Depuis, lors des cérémonies commémorant la Libération de la commune,des fleurs sont déposes au pied de cette stèle.

Il est prévu, en principe, qu'elle soit déplacée sur le site présumé de l'exécution inclus actuellement dans la déchèterie, lorsque cette dernière aura été remplacée et qu'un aménagement paysager lui aura succédé.