La grève des carriers de 1906

 
1906 fut une grande année de grèves dont les plus importante se déroulèrent à Courrières (mineurs des houillères)) et à Fougères (chaussures). Au moyen de la grève souvent suivie de manifestations, les syndicats firent pression sur le pouvoir pour qu'il mette en place une véritable politique sociale dont notamment la journée de travail de 8 heures et les augmentations de salaire. 

À Scaër même, ce sont les ouvriers carriers, les « piker-mein » qui, durant un mois, cessèrent le travail. Scaër était au début du XXe siècle un important secteur de production granitique Voici le récit de ce conflit établi à partir de documents officiels de cette époque

Des ouvriers employés dans les carrières scaëroises au début du XXe siècle.
Parmi eux peut-être des carriers grévistes en 1906 ?


Plus de 120 grévistes sur 200 ouvriers

« Le 13 avril 1906, à la suite du renvoi d’une vingtaine d’ouvriers par un maitre carrier, tous les hommes travaillant à l’exploitation des carrières de granit situées dans les communes de Scaër et Bannalec se sont mis en grève. Le nombre de grévistes est de 120. Les carrières sont éloignées les unes des autres de deux à trois kilomètres.
Les ouvriers ont adressé aux patrons leurs revendications après une conférence faite par le délégué Roullier de la bourse du travail de Brest. Les maitres carriers n’ont pas accepté les conditions des ouvriers
» Ce texte est un extrait du rapport du lieutenant Sapin commandant la gendarmerie de l’arrondissement de Quimperlé en date du 15 avril. Il poursuit en annonçant que les ouvriers carriers tentent de débaucher les ouvriers du bâtiment et craignant des violences contre les maitres

 En date du 17 avril, le commissaire général « de la police des chemins de fer » ( sic)  détaille l’origine du conflit : « Mercredi 11 avril, M. Le Gall, patron carrier à Coat-Loch par suite du défaut de commande s’est vu dans l’obligation de mettre en chômage 15 de ses ouvriers. Ceux-ci en conçurent un très vif mécontentement et se sont concertés avec leurs camarades de la région. Le lendemain, tous les ouvriers de la carrière Le Gall quittèrent leur travail et débuchèrent leurs camarades sur les différents chantiers ( Toulgoat, Guillou, Le Gall, Puillandre, Berthelot à Scaër et Sinquin à Kersclippon en Bannalec) »


 Peu structuré au départ, le mouvement s’organise avec le concours de Roullier qui incite les carriers à se constituer en syndicat (présidé par Burel et Jaffré de la carrière Toulgoat) . Il  établit avec les carriers  la liste de leurs revendications : ils préconisaient la journée de 10 heures ( 6 heures à 18H avec une coupure de 11 h à 13 h) «  comme prélude à la journée de 8 h qui devrait être demandé le 1er mai » et un salaire de 4 francs par jour pour les tailleurs, la réintégration des ouvriers congédiés , la suppression du travail à la tâche pour les plus de 18 ans ; « Au-dessous de 18 ans, le travail serait à la tâche avec augmentation de 10 centimes par quartier taillé ». 

Les revendications des carriers ( cliquez si nécessaire)

Un poste de gendarmerie à Loge-Brout

Le 14 avril, 70 grévistes parcoururent les rues de Scaër avec un drapeau rouge puis le rendirent à la gare. Quand on leur interdit de déployer cet emblème " séditieux", ils y cousirent une étoile donnant à leur drapeau un caractère syndical.  "Les patrons craignent peu la grève mais redoutaient des violences car on les menaçait ». La gendarmerie établit un poste permanent à Loge-Brout pour rayonner sur toutes les carrières et faire face à toute éventualité. Mais il n’y eut aucun trouble sérieux « malgré les excitations du conférencier ». Les archives de l’époque signalent que « l’on a voulu empêcher le départ d’une voiture chargée de pierre de taille mais qu'elle a pu partir sous la protection des gendarmes. Le commissaire ajoute « que sur 200 ouvriers, le nombre de grévistes militants est d’environ 50, 80 ont regagné leurs localités respectives, 70 restent à leur domicile »
Le sieur Burel, un des meneurs, fut arrêté le 24 avril par un gendarme qui se plaignait avoir reçu un caillou lancé par un groupe de 5-6 manifestants cachés derrière les haies à 11 h du soir. Il sera remis en liberté le lendemain, sa culpabilité étant difficile à prouver.

Dans l'ovale : le secteur concerné par le conflit
Un poste permanent de gendarmes est
installé à Loge-Brout

 

 Les ouvriers consentirent à recourir à l’arbitrage du juge de paix. Selon le commissaire, les patrons se montraient conciliants et décidés à accorder satisfaction notamment aux manœuvres.
 Le 24 avril, le commissaire spécial écrivit au préfet : « une solution est plausible en fin de semaine quoique les patrons ne cèdent que point par point ». Le 25 avril, le secrétaire général brestois de la CGT bâtiment ,M. Le Tréhuidic, demande au préfet «  d’enlever les gendarmes » pour apaiser ce  conflit. Il ajoute : «Le juge de paix ne met pas assez d’énergie pour convoquer les patrons».

 La journée de travail passe à 10 heures

 Un accord fut signé le 28 avril et la grève s’acheva début mai. Aucun ouvrier ne fut congédié mais faute de commandes un quart  d'entre eux ne put reprendre le travail. Les ouvriers obtinrent le passage de la journée de travail de 12 à 10 heures, la suppression de la retenue de 2% pour la réparation des pointes d'outils et le maintien de salaires des tailleurs (3, 5 à 4 francs de l’heure) et des manœuvres journaliers (2 à 2,5 francs).

Le rapport de la Direction du Travail établi le 19 juin à la fin du conflit fait état de 135 grévistes :« Beaucoup se sont mis en grève que contraints par leurs camarades et sont allés dans les environs chercher de l’ouvrage ». Ce rapport conclut que « La grève n’a porté aucun préjudice à l’industrie locale. Les grévistes en ont supporté les frais en perdant un mois de salaire ». Pour les aider, il y eut quelques distributions de pain.
Ce conflit fut également l’occasion d’ébaucher la création d’un syndicat ouvrier à Scaër. : « Quelques ouvriers conseillés par les meneurs de Brest, ont tenté de se syndiquer. Ils ont déposé deux exemplaires de leurs statuts à la mairie ».

Le début et la fin du conflit  relatés dans la presse locale.
  C'était de bonne guerre: les gendarmes  n'ont pas loupé le délégué syndical.
Ils lui ont  dressé procès-verbal dès son arrivée à Scaër
pour un défaut de plaque de contrôle de la taxe sur les vélocipèdes,
obligatoire depuis 1900 !

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