Le bazvalan, l’agent matrimonial du XVIIIe siècle



Avant la révolution, la demande en  mariage  donnait   lieu  à  une  longue  cérémonie,  pleine  de détails  railleurs  ou  touchants,  franchement  gais  dans  leur  antique  parfum. Elle n'était pas faite aux parents de la jeune fille par le prétendant lui-même C’est ordinairement un tailleur qui était  le porte-parole  du  fiancé auprès de la famille de la jeune fille.  Tenant à la main gauche la baguette (baz) de genêt (valan) qui lui a fait donner le nom de bazvalan, il se présentait le matin du mariage à la porte de la ferme qu’habitait la jeune fille et entamait un  long  dialogue  en  vers  bretons  avec  un rimeur nommé breutaër, chargé de lui répondre.
En 1794, Jacques Cambry « commissaire des Sciences et des arts » parcourut le Finistère, afin de visiter les dépôts de biens confisqués à la noblesse et aux couvents. Au cours de ce voyage, Jacques Cambry  prit de nombreuses notes qui aboutirent en 1799, à la parution de « Voyage dans le Finistère ». De passage à Scaër, il recueillit le dialogue ci-dessous, dialogue qu’échangeait en rime le « bazvalan » et le « breutaër » respectivement le demandeur et le disputeur dans le texte de Cambry.

Un siècle après Cambry, le photographe Villard a immortalisé les mariages à Scaër .

Le même cortège que la vue précédente photographié plus haut dans l'actuelle rue J. Jaurès


Le messager d’amour

 "Scaër, reculé dans les terres, d’un abord difficile, a conservé beaucoup des formes et des usages du temps  le plus ancien. Des poètes, des discoureurs y demandent les filles en mariage.
Un troubadour se transporte chez la fille qu’il demande en mariage pour son ami ; il n’est reçu d’abord qu’à la porte. Un autre troubadour, protecteur de la fille, est sous les armes : la dispute commence en vers de tradition, fort souvent impromptus, dont je peux vous donner quelques exemples.
 L’étranger fait un compliment à tous les individus renfermés chez la fille qu’il demande en mariage ; il implore pour eux les faveurs du Ciel, des jours de rose et les délices d’une autre vie, il salue les prêtres souverains sur la terre ; les gentilshommes qui, de leur épée protègent la Croix, la Couronne et le Pauvre. Il finit cet exorde par s’excuser de ses faibles talents sur son séjour, loin des grandes écoles, des villes et des gens éclairés.

Le Disputeur de la maison lui dit en vers :

« Votre salut nous plait, il charme les vieillards et les jeunes gens. Il est bien malheureux que ce que vous cherchez ne se trouve plus dans ces lieux ; le vase de parfums n’est plus ; nous n’avons que des pots de terre à vous offrir : une inspiration du ciel nous a ravi ce que nous chérissions avec idolâtrie ; cet ange a fait serment d’abandonner le monde et de consacrer à son Dieu dans la solitude du cloître, et son bonheur et sa virginité ; elle renonce à l’homme perfide, inconstant et traître : l’ingratitude habite sur la terre ; on n’y recueille que des pleurs. Adieu soyez heureux et dans ce monde et dans l’éternité. 

 

Le carrefour des quatre tavernes, haut lieu festif du bourg vers 1900

Le même site de la rue J. Jaurès vu dans l'autre sens

Le Demandeur :


«Quand nos chiens à la chasse ont perdu les premières voies, mauvais chasseur qui se retire. Je reviens à la charge, et vous demande avec instance l’objet d’un amour éternel … celui qui la recherche n’est pas fait pour qu’on le refuse. Il meut la terre avec facilité, retournes-en un seul jour plus de sillons que trois de ses confrères ; nul ne lui résiste à la lutte ; le cerf n’a pas plus de légèreté : quand la charrette se renverse en chemin mal aplani, il sait tout seul la retenir ; il a chassé le malfaiteur qui menaçait d’attaquer son village, et son bâton a su briser, a fait voler au loin leurs armes de fer et d’acier. »

Le Disputeur :

« Celle que vous demandez n’avait pas moins de mérite que lui. Quelle toile fine et légère, qu’elle étoffe forte et solide elle fait sortir du métier ! Si vous voyez avec quelle souplesse elle porte à la ville, sans accident, le lait qu’elle-même a tiré ! jamais jeune homme du village ne se flatta d’avoir obtenu d’elle un seul regard, et quand dans la danse est commencée, elle tient d’une main sa mère, de l’autre son amie, et jamais un garçon qui pourrait la tromper. J’en suis fâché mais celle que vous demandez n’est plus ici, cherchez ailleurs. »

Le Demandeur :

« Pourquoi, quand je vous indiquais la neuvième heure du matin de ce jour, quand je vous fis sentir le motif de ma visite, m’avez-vous laissé quelque espérance ? Vous me trompez : celle que je cherche n’est pas sortie de la maison : tout le village l’aurait sue, l’eut retenue . L’if est fait pour les cimetières, les lieux écartés, mais un beau lys est fait pour les jardins : ne me chargez point de paroles de désespoir, conduisez par la main celle que je désire. La table va se préparer, et nous les assoirons à côté l’un de l’autre, en présence de leurs parents. »

Le Disputeur :

« Je cède à vives instances, à votre persévérance ; je vais vous présenter ce que nous avons dans la maison, et vous verrez si celle que vous demandez est ici. En attendant, grand père, et vous tous, levez-vous et voyez si celui qui parle est connu pour un honnête homme. » 

Après une déclaration des vieillards, le disputeur disparaît un moment ; il amène une vieille et la présente. « Est ce cette rose que vous cherchez ? »

Dans les mariages , il y avait toujours une place pour les pauvres et les mendiants

Les invités de la noce ont festoyé sous la tente dressée derrière l'auberge Rodallec qui deviendra ensuite l'hôtel-restaurant Brizeux. Deux sonneurs sont juchés sur des barriques pour animer les danses sur le champ de foire



Le Demandeur :

« A la figure respectable, à la physionomie calme, tranquille et gaie de cette femme, je juge qu’elle a bien rempli sa tâche dans ce monde, et que son mari, ses enfants, que tout ce qui vivait à côté d’elle était heureux, mais elle a terminé ce que l’autre doit commencer ; ce n’est pas elle que je veux »

Le Disputeur va lui chercher une jeune veuve.

Le Demandeur :

« On ne peut être plus jolie, cette figure de santé, ce port droit, cette démarche aisée, m’annoncent une vierge aimable, mais en l’examinant avec attention .. Ce doigt usé de frottement me fait connaître que for souvent elle a cherché dans un bassin de terre la bouillie qu’elle donnait à ses enfants. »

Le Disputeur lui conduit un enfant de dix ans.

Le Demandeur :

« Voici ce qu’était, il y a huit ans, celle que je désire : un jour ce bel enfant fera le bonheur d’un époux, mais elle doit rester encore longtemps sur l’espalier l’autre n’attend qu’une corbeille pour être transportée sur la table du festin nuptial. »


Photo plus récente : Si les femmes portent toujours de costume breton, les hommes au premier plan ont adopté le " mod-kêr", le costume de la ville.


Costume de mariage du pays de Scaër


Le Disputeur :

« Vous triomphez, rien ne vous trouble. Je reconnais votre constance et votre fermeté ; voilà ce que vous cherchez, parée de toile de Hollande, d’écarlate et de rubans d’or et d’argent. Allez chercher celui qui l’aime, et nous les placerons tous deux à table, au bout du banc. Puissent ils être heureux ensemble, et mériter la bénédiction du prêtre et de leurs parents ! Allez, la promptitude de votre retour nous prouvera l’amitié que vous nous avez annoncée.
Touchez là mon ami ; je prendrai place à vos côtés, et le cidre, et le vin nous rappelleront des chansons anciennes. »

Par la suite Émile Souvestre reprit ce témoignage dans les années 1830 puis Hersart de la Villemarqué s'en inspira  dans le Barzaz Breiz dans la chanson " Ar goulenn", la demande en mariage.

 

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