Battage au manège à Leuhan


Albert Yaouanc a peint de nombreux tableaux décrivant la Vie rurale du début du XXe siècle.Souvent, pour commenter ses créations, Albert Yaouanc a couché par écrit son témoignage afin que les générations futures puissent comprendre ces aspects souvent méconnus de notre patrimoine. 

Voici la description détaillée de son tableau « Battage au manège à Leuhan ». Les numéros renvoient au tableau.

 Le battage au manège dans notre région a fait suite au battage au fléau ce dernier plusieurs fois centenaires, voire millénaires. Le matériel permettant cette méthode était fabriqué dans des fonderies de la région (Savary à Quimperlé en faisait partie). 

 

Ce tableau permet une vue d'ensemble de toutes les opérations du battage

Un peu de mécanique

L'ensemble était constitué d'un manège (1) captant la force déployée par les chevaux ; une batteuse (2) qui recevait par barres de transmission le mouvement de rotation recueilli à la sortie du manège. Le secoueur dont le rôle était de séparer la paille du grain. A cet ensemble, mais indépendant venait s'ajouter le tarare (3).
Le manège avait pour rôle de transmettre la force déployée par les chevaux dont il multipliait le mouvement de rotation. Les chevaux en nombre de 4 à 8 étaient attelés à de grands leviers de bois, appelés brancards de 4 mètres de long et de section 15/20 cm environ. Ces brancards étaient reliés entre eux par des tiges d'acier munies de ridoirs, qui les rendaient solidaires à l'effort. Suivant le type de machine, le nombre de brancards était de 4—5 ou 6.
Les brancards convergeaient et aboutissaient à la croix, grosse pièce de fonderie comportant les alvéoles d'emmanchement des brancards. Au centre de cette croix, aboutissait un axe vertical, celui de la grande roue dentée.
L'ensemble mécanique multiplicateur était à 2 étages, d'une part la grande roue axée à la croix et son pignon coaxé à une autre roue à denture couchée. Cette roue à denture couchée engrenait à un autre pignon à denture horizontale coaxé et solidaire par cardans aux barres de transmission.
La transmission aboutissait à la grande roue dentée de la batteuse (4) qui engrenait sur un petit pignon d'une vingtaine de dents coaxé avec le tambour du batteur (5). À la sortie du manège, la rotation est multipliée par 50 environ* Le tambour du batteur tournait environ à 1200 Tours/minute.
Le sens de rotation du batteur était variable suivant la conception de la machine. Pour le batteur à dents, le contre-batteur constitué d’une plaque de fonte portant des dents (de la dimension d'un index de la main), se trouvait la partie supérieure de la machine. Les céréales passaient par le haut.
Pour ce qui est du batteur à barre, le contre-batteur était constitué en général d'une sorte de grille, ce contre-batteur se trouvait sous l'ensemble tournant. Les céréales passaient par le dessous. Il s'ensuit que le sens de rotation des chevaux au manège se trouvait inversé.


manège de chevaux pour le battage  utilisé vers 1920 (Photo Moreau Henri Moulins de Kerouat)

La transmission entre le manège à gauche et la batteuse à droite

La paille et le grain

À la sortie de la batteuse se trouvait le secoueur (6) qui recevait toute la paille battue et une partie du graine La paille secouée verticalement était en même temps véhiculée par le mouvement provoqué par un montage sur deux arbres-vilebrequins accouplés par un biellette bois. La rotation des arbres-vilebrequins se faisaient par un montage roue dentée et petit pignon. Le mouvement de cet ensemble était accompli de main d'homme, on se relayait car le travail était assez pénible et l'effort variait suivant la densité de la paille et aussi le débit de la batteuse.
À la sortie du secoueur, la paille était pratiquement dégrainée, mais cependant un secouage à la fourche parachevait le travail. Le nombre de secoueurs à la fourche était variable. Les porteurs de paille (7) se servaient de grandes fourches pour porter cette paille au tas.
   A l'occasion du battage on procédait au recouvrement du tas de foin  en le protégeant par une épaisseur de paille d'environ 50 cm et en lui donnant de plus un profil plus pointu. Ceci est représenté sur le tableau. Il s’agit de la 2e meule à proximité de la maison (8).
Le grain récupéré sous le secoueur et la batteuse était tiré en un andain (9) sur la cour par un travail au râteau effectué par les femmes. Ce travail au râteau avait pour but d'extirper la balle et la menue paille de la masse de graines. Ce travail était parachevé peur un balayage superficiel.
En général il y avait deux femmes aux râteaux et deux autres aux balais. La balle et la menue paille ainsi extraites se trouvant à la fin de de cet andain de grains étaient reprises par le tarare, qui possédaient également un secoueur mu par un système vilebrequin et biellette, sur lequel il retombait et était soumis à l'effet d'un ventilateur Cet ensemble mû manuellement permettait une séparation définitive du grain et de la paille.
Par la suite, tout l'ensemble grain : celui sortant du tarare ainsi que celui provenant de l’andain était étalé sur la cour, au soleil (10). À plusieurs reprises il était remué pour en accélérer le séchage et ceci en y passant et traînant, les pieds nus pour y faire, une première fois des andins que la fois suivante on refermait. Cette opération pouvait se prolonger plusieurs jours suivant l'humeur du temps et les moments dont on disposait.
Finalement, tout ce grain repassait au tarare, puis rejoignait les greniers. Le tarare était constitué de tamis, dont un groupe recevait un mouvement latéral. Sous la machine, un tamis oblique soumis à un mouvement vertical, extrayait les graines des mauvaises herbes, battues en même temps que les céréales.
Le battage au manège permettait le battage d'environ 5 à 4 hectares par jour. Généralement une vingtaine de personnes étaient employées.

Le tarare nettoyait le grain sortant de la batteuse

Albert Yaouanc avait créé par ses tableaux  un musée de la vie rurale au moulin de Kergolaer

Chacun à son poste

Le tableau noue montre les emplois confiés aux adolescents et aux enfants. Ce sont eux qui défaisaient les meules de gerbes (11).
Les gerbes tombant au sol étaient reprises à la fourche et placés sur la table de la batteuse ou sa prolongation. Le lien coupé, la gerbe était poussée à l’approvisionneur (12), généralement le patron de la ferme, qui l'étirait, l'étalait et la glissait au batteur.
Le poste de l'approvisionneur était parfois très pénible. Lorsque la céréale contenait de la renouée ou était charbonnée, ce qui était courant, c’était une poussière noirâtre qui se dégageait (très irritante pour les yeux) dont on ne voyait que le blanc, tout le reste du visage était recouvert d’une espèce de pâte noirâtre, que fixait la sueur.
Le travail des chevaux était sollicité par un adolescent (13) muni d'un fouet à long manche. Ce- toucheur de chevaux se tenait sur la croix qui était équipée d'un petit plateau d'environ un mètre au carré. Il avait de plus, pour mission, le soin de graisser à chaque arrêt, toute la pignonnerie du manège.
La batteuse ainsi que les cardans étaient huilés par les soins de l'approvisionneur. Le système de battage au manège a pratiquement disparu vers 1940.
Ce tableau permet une vue d'ensemble de toutes les opérations du battage, ce qui en réalité était pratiquement impossible d'un même coup d’œil ; les cours étant en général plus encombrées et plus réduites, l'emplacement des bâtiments de ferme étaient de plus un autre obstacle à une vue d'ensemble.
Sur ce tableau, seul, ce vieillard (14) ne participe pas au battage, il en était ainsi. Auprès des vieillards se regroupaient les chiens, venus là d'autres fermes, parce qu'accompagnant leurs maîtres.
Le vieillard, les chiens, la volaille ainsi que le grand étalon regardent dans la même direction : savez-vous pourquoi ? Tout simplement parce que vous êtes là, devant eux et qu’ils ne vous connaissent pas.

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