Un châtelain sans papier



Dusseldorf, 1998 . Au sortir d'un restaurant, la « Polizeï » interpelle un automobiliste afin de vérifier son identité. Contrôle sur le fichier central à partir de l 'ordinateur de bord. Surprise de ce ressortissant allemand : il n'y figure pas.
A Scaër, quelques temps après. Même remarque faite à cette même personne : « Faites attention Monsieur, vous n'êtes pas en règle, vous n'avez pas de permis de séjour ». Ce document, Lothar Guderian, 58 ans à l’époque, avait multiplié les démarches pour l'obtenir.

Les initiales du châtelain sur la porte d'entrée de Kergoaler

Lothar fut aussi un créateur artistique , adoptant le concept de " l'art concret"

 

Coup de foudre pour un manoir breton.

En 1991, Lothar Guderian, un antiquaire de Dusseldorf, a le coup de foudre pour un manoir breton du XVIIIe siècle, à Kergoaler en Scaër : il l'achète et entreprend patiemment de le restaurer. C’était un domaine ayant appartenu à la famille Du Couëdic de Kergoaler dont l'un des membres fut décapité à Nantes avec le marquis de Pontcallec. Ce coquet édifice construit en 1718, sur les ruines d’un manoir du XIIIe siècle, si l'on se réfère à la date gravée sur le linteau de la fenêtre du salon d'honneur. Ultérieurement deux tours crénelées de style néo-gothique y ont été adjointes. La légende prétend que Louis XV aurait dormi deux nuits à Kergoaler : une coutume de l'époque qui avait le mérite d'anoblir le maître des lieux.
Ce château était en mauvais état et sans confort : il avait même été squatté dans les années 70.  Les anciens occupants utilisaient le bois des planchers pour se chauffer, des graffitis « taggaient » les murs, le toit prenait l'eau.
 Lothar Guderian s’était investi dans la rénovation de ce patrimoine, sur ses fonds propres, sans jamais solliciter une quelconque subvention. Il fit refaire la maçonnerie, l'électricité, la charpente, la toiture, les sanitaires. Il agença l'intérieur, rénovant lui- même peu à peu ce castelet de 13 chambres et agrémentant le parc de bassins, bordures, murets et balustrades. Le salon, ouvert sur le parc, conserve toujours ses boiseries d’époque. Lothar, qui fut antiquaire, marchand d’art, artiste graphiste, possédait d’autres propriétés à Dusseldorf et à Saint-Tropez, mais il passait à l’époque une bonne partie de l'année à Scaër. Il s'était bien intégré dans le quartier, avait appris le français et se considérait autant français qu'allemand. C'est l'histoire simple d'un amateur d'art séduit par un manoir breton.

Sans papier

« En 1995, je me suis adressé à la mairie pour demander comment obtenir une carte de séjour afin de vivre définitivement en France. J'ai constitué le dossier, ramenant de Dusseldorf les documents nécessaires ». À chaque passage à Scaër, Lothar s'informe de l'avancement de son dossier : il manque toujours un document pour régulariser sa situation : les services de l'immigration lui réclament le décompte de ses revenus mensuels. « Quand je suis à Scaër, je dépense beaucoup pour le château, mais je ne gagne pas un sou durant six à sept mois ». Il apprend à la Préfecture que son dossier a disparu : « On me dit qu'il faut le refaire. Je ne suis pas d'accord, rien n'a changé par rapport au précédent dossier. J'avais dépensé 5.000 Francs pour faire une traduction de mes documents par un interprète agréé par l'ambassade de France, comme on me le demandait. Maintenant pour refaire le dossier, on me dit qu'il me suffirait de trouver un traducteur dans l'annuaire ! ». Ce dossier  fut ensuite retrouvé mais « il manquait toujours quelque chose ... On me dit que mon cas est spécial. Je peux vivre ici avec un passeport allemand, mais je veux vendre ma maison à Dusseldorf et vivre ici. C'est mon nouveau foyer. J'ai investi mes forces et mon argent dans la restauration de ce petit château. Je voudrais en profiter quelques années ».

Lothar guide à Kergoaler lors d'une journée du patrimoine


Organisateur d'une expo au centre Brizeux en 2003

Un document pour vivre en France

Au fond de lui-même, Lothar avait l'impression d'être traité « comme un personnage indésirable ». Il ne peut s'empêcher de faire le lien entre sa situation et celles des immigrés africains : « Est-ce que je dois aussi manifester dans la rue ? Ma situation est différente : personne ne m'a demandé d'où venait mon argent pour restaurer Kergoaler, payer les charges. Seulement, on me le demande pour avoir la carte de séjour ! Je n'ai demandé aucune aide pour rénover ce château, aucune médaille. Seulement, un seul papier disant que j'habite à Scaër. J'insiste parce que mon premier domicile y est maintenant : l'administration allemande m'a dit que mon passeport ne pouvait pas être prolongé de ce fait. Tous les jours, la télé parle de l'Europe. La France et l'Allemagne sont appelés les piliers de l'Europe. Mais quand un Allemand veut vivre en France, il y a des difficultés. Je ne comprends rien : je ne cherche pas de travail. Je veux seulement un document officiel pour vivre en France. S'il j'avais un problème d'argent plus tard, pas de problème ! Mes propriétés à Kergoaler et Saint Tropez sont là comme garanties ».
 Le père de Lothar était chef d'orchestre. Son oncle était plus connu : Heinz Guderian, général des Panzer divizion » est considéré comme le père de l'armée blindée du 3è Reich. Lothar ne veut pas penser qu'il doit ses déboires administratifs à ses origines familiales : « Si la France n'avait pas voulu de moi, je serais allé vivre ailleurs. Mais je suis venu en France pour restaurer ce château. Cela restera après moi. J'aime la France, j'ai découvert sa culture. En moi-même, je suis devenu presque français. Lors de la coupe du monde de 1998, je me suis enthousiasmé autant pour l'équipe tricolore que pour celle de mon pays. Dans ma carrière de marchand d'art et d'antiquaires, j'ai fait beaucoup d'affaires chez vous. La restauration de ce château, c'est comme un merci que je dis à la France ! »

 Sa situation sera finalement régularisé et Lothar animera la vie locale en organisant des portes ouvertes à Kergoaler, une expo au centre Brizeux.

Retour