Les excommuniés de 1925

 « Mgr Duparc, évêque de Quimper et de Léon entre 1908 et 1946, fit interdire les danses Kof ha Kof (ventre à ventre) prétextant qu'elles sont diaboliques. Malheur à celles et ceux qui, dans une atmosphère enfiévrée et saturée de vices, se livrent à ce plaisir malsain qui les éloigne de l'Église et de la vie de famille. Malheur également aux tenanciers de dancings et aux musiciens. Recteurs et curés obéissant le plus souvent avec zèle aux mandements de Sa Grandeur, les sanctions tombent dru sur les malheureux pécheurs : absolutions refusées, baptêmes, mariages et enterrements sans les honneurs, etc… La presse anticléricale se déchaîne contre de telles mesures, jugées fanatiques et intolérantes
Cette présentation du récent livre de Pierrick Chuto  , l'évêque et les danses Kof ha kof (*), a ravivé les souvenirs des Scaërois de longue date qui ont entendu parler d’un épisode clivant de la vie locale en 1925.

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Plusieurs salles de danses s’ouvrirent au début des années 1920, dans ces années folles suivant la fin de la grande guerre, ce qui déplut au clergé. Dany  Trick,   qui a longtemps demeuré à Scaër en fit l’écho en 2015 : « c’est près de la gare que se concentraient les quatre salles de danse souvent occupées chaque samedi par quatre bals de noces, chez Glémarec,chez Guernic.  Le père Guernic avait été excommunié pour avoir ouvert ce que l’Église Catholique et Romaine considérait alors comme un lieu de débauches, pensez donc, on y jouait de l’accordéon, le diable lui-même sorti de sa boîte. Il y avait aussi Chez Tante Jeanne et chez Lancien, aujourd’hui le Mississippi » 

La salle de danse de Jos Guernic ouverte en 1923
(photo G. Le Mao 2012)

A: La salle Guernic; B: un champ appartenant à la paroisse dont les acquéreurs connurent quelques tracasseries



 Marguerite Derrien Le Floc’h  évoqua également cette époque dans son livre "Une enfance à Scaër" consacré aux descendants  de Jean Joseph Le Reste , une famille pourtant empreinte par la  religion: « La grande majorité du clergé paroissial en Cornouaille, descendait du Léon pour venir évangéliser, …, d'interdictions et de sanctions, les trop joyeux "barbares" de ce coin de Bretagne "attardé". Aux quatre coins de mon pays de Scaër, fleurissaient les salles de danse. Les jupes brodées des filles virevoltaient, pendant que trépignaient les chausses endiablées des solides gaillards. On y aimait les jeux, le théâtre, les fêtes populaires. Les tournois de lutte y attiraient les foules. Le cidre, puis le vin coulaient à flots dans de joyeuses libations, sans doute peu édifiantes. Bien sûr, tous ne s'en mêlaient pas, au nom de la morale, de la bienséance ou de la bonne réputation, sans compter les éternels rabat-joie, les "pisse-froid", les censeurs de tous bords. Mais tous en étaient, bon gré, mal gré, plus ou moins imprégnés.
Alors, du haut de la chaire, les salles de danse furent vouées aux gémonies et leurs tenanciers à l’anathème.  Les sanctions ecclésiastiques allant du refus des sacrements, à l'excommunication
»


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Un mariage "correct" se faisait chez Charles Laz ou chez Mme Vve Le Reste qui n'avaient pas de salle de danse
(Union agricole et maritime 06/06/1925)



Le curé n'apprécie pas que les mariés choisissent la salle Guernic
(Echo de Bretagne 6 mars 1925)

Intolérance cléricale.

Le journal républicain de gauche « L’écho de Bretagne » publia l’entrefilet suivant en  mars 1925 sous le titre " Intolérance cléricale"  : « M. Le curé refuse de marier les jeunes gens qui feront leurs noces à la salle de M. Guernic. ». La même source ajoute que M. Le curé refusa que Henri Croissant, maire radical de Scaër, soit parrain d’un neveu, fils de Joseph Croissant : il avait pris part à la contre-manifestation antifasciste du 7 décembre 1924.
Jos Guernic fut excommunié, exclus de la communauté chrétienne (privation d'honneurs religieux, de sacrements), une sanction qui marqua la famille de son frère Jules très proche de l’église (il sera longtemps le sacristain de la paroisse) et divisa la commune. Les conséquences de cet ostracisme ont encore un impact sur la vie scaëroise.

Treize salles de danses!

Pierrick Chuto :"Selon Jean-François Cabioc'h, curé doyen de Scaër, il y a en 1931, 13 salles de danses officiellement déclarées, ce qui en fait la paroisse du Finistère où il y en a le plus. .S’ils se déroulent pour la plupart dans des restaurants ou dans des salles construites près de certains commerces, les bals se pratiquent parfois dans des endroits plus ou moins inattendus. Lorsque les propriétaires de salles ne veulent pas risquer une condamnation, il reste à investir les salles de classe. Mme Le Beux, maîtresse d’école publique à Scaër, n’hésite pas à pousser tableau noir et pupitres pour son mariage. Elle dit avoir obtenu l’accord de l’inspection académique, mais la préfecture critique de semblables réjouissances, surtout lorsqu’elles sont pratiquées par des membres du corps enseignant.

Le curé de Scaër pense avoir trouvé un autre moyen de lutter contre la perdition des âmes. Après avoir menacé les danseurs des foudres célestes, il organise en avril 1931 un super gala à l’école des filles avec danses bretonnes et grand jabadao. Ainsi donc, écrit ʺLe Breton socialiste‶, le curé n'est ennemi des distractions que si elles ont lieu chez les autres : il les qualifie alors de lubriques. À quand une grande fête sportive organisée par nos braves prédicateurs ? Et pourquoi pas un grand gala de boxe ? Ironique, le journal de gauche pense savoir qu’au presbytère, les prêtres s’entraînent déjà sérieusement et qu’ils sont passés maîtres dans l’art de distri unbuer swings et uppercuts"

Rebondissement politique

Nous n’avons pas trouvé de document signifiant cette excommunication de façon explicite. Par contre de mars à mai 1925, le terme « excommunié » pris une tournure politique.

 Deux listes briguaient à l’origine les suffrages des électeurs aux municipales le 3 mai 1925 : Une liste radicale et radical-socialiste (centre-gauche, défense de la laïcité) conduite par Henri Croissant, maire sortant, une liste socialiste SFIO, plus à gauche. Une troisième liste « d’union républicaine », plus à droite, conduite par Louis Monfort, ancien combattant proche des Croix-de-feu, se crée peu de temps avant le scrutin. 



Les Excommuniés de la vie locale annoncent la création d'une 3e liste conduite par Louis Monfort
(Union agricole et maritime 2 mai 1925)


Les Excommuniés raillent le maire sortant
( Union agricole et maritime 25 avril 1925 )





(L'Union agricole et maritime du 11/03/1925)

 

 

Le journal conservateur quimperlois « L’Union agricole » marqué à droite, s’en prit au maire sortant invitant les électeurs à voter pour la liste de M. Monfort et signe ses articles « Les excommuniés ». Le choix du terme « excommuniés » interpelle de la part de partisans de la liste Monfort, classée à droite et plus enclins à avoir des affinités avec l’église catholique. Peut-être parce qu’ils se sentaient  «excommuniés» de la vie politique locale. La liste Monfort ne sera pas présente au second tour et la liste Nicolas sera élue toute entière. Henri Croissant dans un article de «L’Écho de Cornouaille» reprochera à ces « Excommuniés » de droite de chercher une alliance contre nature avec les socialistes SFIO.
Cette diatribe politique  prouve au moins qu’il y eut réellement des excommunications dans le sens religieux du terme en 1925. Ajoutons que les rapports étaient tendus entre la municipalité et la paroisse du fait du début de la construction de l'école privée des garçons, Saint-Alain, et de l'arrivée de l'abbé Vincent Favé , " Un John Wayne en soutane" selon l'expression de Robert Boucher!

 La mémoire orale scaëroise  fait aussi état d’une autre série de sanctions épiscopales à l’égard des acquéreurs de terrains  appartenant à l’Église. Ces terrains se situaient entre les rues Renan et Gauguin. Selon une source familiale, Marjan Kersulec, qui exploitait une quincaillerie près de la l'église ,en face du monument aux morts, connut également quelques soucis du même ordre pour avoir ouvert son commerce le dimanche.


Henri Croissant répondit aux " Excommuniés" à l'issue du second tour.
Combien de maires sont capables de citer Nietzsche ?
Henri Croissant avait une formation d'ingénieur agronome.

(Écho de Bretagne 15 mai 1925)

La liste du parti radical et radical-socialiste fut
"élue toute entière". Henri Croissant et trois autres membres de cette liste furent élus 
au premier tour du 3 mai
(Source : La dépêche de Brest)



 

Pour des raisons différentes, une autre affaire d’excommunication touchera la commune de Lanvénégen en 1949. Au départ, une broutille : le maire augmente le loyer du pré communal dans lequel le curé fait pâturer deux ou trois vaches. La décision est mal vécue, l’histoire remonte à l’évêché. C’est l’escalade : mesure exceptionnelle, l’église est fermée pendant plus d’une année, les deux camps se radicalisent, puis les élus du Conseil Municipal seront tous excommuniés.

(*) Danses Kof ha Kof : danses ventre contre ventre, l'ancêtre des slows..

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