Qui l’eût cru, les Pardons ont pu jouer avant la première guerre mondiale le rôle des actuels sites de rencontre ou agences matrimoniales. Avec toute la retenue qu’il se devait à une époque régentée en Bretagne par la toute-puissance du clergé.
Ainsi, dans un récit retraçant le Pardon de Coadry du 4 juin 1893, après avoir relaté la partie religieuse, messe, procession et vêpres, dans son opuscule « Pardons et pèlerinages » Louis Tiercelin, s’est fait le témoin d’un subtil et pudique manège amoureux entre jeunes gens et jeunes filles.
L’afronik des amoureux
« Ce Pardon est surtout la fête de la Jeunesse : certaine plante dont je ne sais pas le nom français, mais qu’on nomme ici afronik, y joue un grand rôle. Les jeunes filles en portent de petites brindilles à la main, sans compter des réserves plein leurs poches ; les garçons en ont aux bouquets de leurs chapeaux. Elle est douée de propriétés bienfaisantes ; dans l'opinion des gens de Scaër, elle guérit des piqûres de la vipère ; mais elle est surtout un gage d'amour, et c’est comme telle que les couples l’échangent. On l'offre aussi aux étrangers en signe d'amitié, et, comme une politesse en vaut une autre, il faut accompagner la jeune fille qui vous l’a offerte à l’une des boutiques, afin qu'elle choisisse un souvenir du Pardon. Si vous êtes tout à fait galant, après avoir piqué vous-même la jolie épingle au corsage de votre belle amie, vous la conduirez sous la tente».
Afronik ? Quelle est donc cette plante mystérieuse ? Peut-être l’artémisia abrotanum , en français l'aurone dont les autres noms sont l'armoise, la citronnelle ( Source : Avron dans le dictionnaire breton-français Favereau). Une hypothèse confortée par cet extrait du site Nostrodomus qui développe les propos de Louis Tiercelin "La longue histoire du Southernwood (nom anglais de l’artémisia) en tant que symbole de l’amour en fait une fleur idéale à offrir pour indiquer un intérêt romantique. Étant donné qu’elle était généralement offerte par des jeunes gens débutant une relation, elle n’est pas aussi passionnée ou intense que des fleurs telles que les roses rouges...L’un des mythes les plus tenaces du Southernwood, répandu dans les cultures européennes, l’associe à l’amour. Les jeunes gens qui se languissaient de leurs amants incluaient des brins de fleurs de Southernwood dans leurs bouquets. L’odeur forte de la plante était censée aider à attirer l’amour, quelle que soit la distance."
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La drague sous la tente
« La tente, c'est un abri de grosse toile tendue sur des cerceaux de barrique. La tente est étroite et longue ; il y a tout juste place dans ‘sa largeur pour, une table avec un banc de chaque côté ; dans sa longueur, sur chaque banc, une douzaine de personnes peuvent s'asseoir. Une fois-là, voici le petit manège qui se renouvelle pour chaque couple. On s’assied l’un près de l’autre ; après un moment de silence, le garçon demande à la fille ce qu’elle veut prendre.
— Du doux, » répond celle-ci, à mi-voix, en inclinant la tête du côté de son compagnon.
C’est un verre de cassis que cela signifie, et les deux petits verres sont apportés et remplis.
Alors la conversation s'engage, on parle du temps, des récoltes. Cette année, la chaleur, le manque de pluie, la sécheresse, le foin qui ne pousse pas, la paille qui manquera, les bêtes qu'on ne sait plus avec quoi nourrir, tels ont été les thèmes de toutes les conversations sous la tente, conversations interrompues par de longs silences, car les causeries sont rares et sont lentes ici.
Et cependant les deux verres de doux ont été bus ; on les renouvelle. Alors le jeu des mains commence. Sur le rebord de la table, les petits doigts se sont cherchés et bientôt joints ; le jeune homme a un gros rire de joie ; la jeune fille sourit en baissant la tête. Et ils demeureront ainsi, longtemps, sans plus se rien dire.
Puis, les mains tombent sur les genoux ; alors, sous prétexte de boire, la jeune fille a dégagé son petit doigt ; le jeune homme, lui, malin, a profité de ce moment pour saisir le mouchoir de la jeune fille dont un bout sortait, à dessein peut-être, de la poche de sa vroz (robe), et c’est le troisième acte du joli drame d'amour. Le galant a tordu le mouchoir ; la belle essaie de le reprendre, et c’est une lutte qui peut durer une heure, devant les deux petits verres de cassis. Et, de couples de verres en couples de galants, le jeu du mouchoir se prolonge sous la tente, ou bien le jeu des noix, dont la règle est exactement ‘la même.
À force de parler du temps, des récoltes, de la chaleur ou de la : pluie, du foin qui sera abondant ou qui ne pousse pas, de la nourriture des bêtes ; à force de boire des petits verres de doux, en se disputant le mouchoir ou les noix, on peut arriver à se mieux connaître et à comprendre décidément que l’on se convient. Alors on sort de la tente et, au milieu de cette foule, deux oui sont échangés qui valent tous les serments. Nos galants sont accordés ; ce n’est plus qu'une affaire de dates à fixer, et on comprend que, dans ce tumulte, ils n’aient pas la tête à cela. On les voit alors descendre vers les auberges qui sont au bas de la côte.
Ces deux auberges ont le privilège d’abriter les accordés. La jeune fille fait bien quelques façons encore pour s'y laisser pousser ; aller boire là, c’est se fiancer publiquement et toute la paroisse le saura avant la fin de la semaine ; mais sa décision est bien prise, et voilà nos deux galants assis à une table et recommençant, pour quelque temps encore, les mêmes causeries lentes et les mêmes petits jeux. »
Les Pardons, un camaïeu de fête religieuse ( bannières) et profane ( tentes-barnums) |
Le cidre, les chansons et les pierres de Coadry
Louis Tiercelin évoque aussi les pratiques commerciales et la fête profane inhérentes à ce célèbre Pardon fréquentée par toute la Cornouaille. Pas de bière pression à cette époque mais « Des marchands de cidre vous arrêtent par le bras pour vous faire goûter leur produit. Leur installation est sommaire : la charrette qui a traîné jusque-là le bon fût a ses brancards appuyés sur une table servant de comptoir au débit ; le marchand a remplacé le cheval, tantôt tourné vers la table où sont les écuelles et les verres, tantôt penché sur la clef qui laisse couler le nectar. La renommée se fait vite du meilleur cru et c’est à qui des marchands redressera, le premier, son fût vide ».
On y vend non pas des Cd-Dvd ou vinyles mais des chansons sur des feuilles volantes « On se heurte, on se bouscule, on s’interpelle, les marchands crient; un ténor, devant un étalage de papiers imprimés, debout sous un parapluie rouge, ne cesse de chanter les chansons à la mode, les belles chansons des bardes du pays. Voici de Fanch Ar Moal, une mélancolique sône, Bered ma bro (le cimetière de mon pays); voici de Jann Karer, la fameuse Gavotten Matelinn an Dall, voici de Tann Karer qui signe fièrement Labourer-douar ( laboureur de la terre)…
Voici la foule des « Chanson Nevez », ( nouvelles chansons) composées par un jeune homme du canton de Bannalec, ou de la paroisse d’Elliant ou de Scaër, (auteur Charles Sinquin), presque toutes « var eur zoudart yaouanc hag e vestres, ( un jeune soldat et sa fiancée).… Toutes sorties des presses du bon imprimeur Clairet, de Quimperlé».
Les miraculeux staurolites sont des porte-bonheurs très appréciés dans le pays |
Le Pardon attire aussi les Bohémiens, les saltimbanques, les diseurs de Bone aventure, les restaurateurs, les commerçants : « Deux rangs de marchandes y font maintenant comme une allée vers la porte de l'Épitre ( porte latérale sud) ; elles sont assises sur le gazon, ayant devant elles, sur des toiles, leurs étalages de noisettes, de noix, de cerises, de groseilles. Plus loin ce sont les pierres de Coadry : Les miraculeux staurolites sont des porte-bonheurs très appréciés dans le pays »
Source :« La Bretagne qui croit », Louis Tiercelin, Le Pardon de Coadri, pages 21 à 40
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