Scaër d'antan vu par Cambry et Tiercelin

 En 1794, Jacques Cambry parcourut le Finistère, afin de visiter les dépôts de biens confisqués à la noblesse et aux couvents. Au cours de ce voyage, Jacques Cambry il prit de nombreuses notes qui aboutirent  en 1799, à la parution  de « Voyage dans le Finistère ». Voici quelques extraits de cet ouvrage présentant notre commune.

24 auberges dans le bourg!

"Scaër est à cinq lieux de Quimperlé : ce bourg considérable est traversé par un chemin assez beau ; il raccourcit de dix lieues (Une lieu = environ 4,5km)) la distance de Brest à Paris, mais le défaut des postes fait qu’il n’est fréquenté que par quelques rouliers, des gens à pied, ou des hommes, qui voyagent avec leurs propres chevaux.
Avant qu’on eût détaché quelques portions de son terrain, pour les joindre à celui de Balanec, il avait environ douze lieues de circonférence. Le dixième de cette étendue est passablement cultivée. Le reste n’offre que des landes, qui cependant par leur vigueur démontrent que la terre est susceptible de culture ; le pays en général est mal peuplé ; des échanges répétés de grains, de bestiaux et de denrées de toute espèce, eau de vie, vins, etc. font subsister les habitants ; ils parcourent sans cesse les foires de Châteauneuf, du Faou, de Coray, du Faouët. Dans la commune de Scaër, peuplée de cinq cent hommes, on n’en compte que trois qui labourent la terre : le reste agiote, commerce, est ouvrier, fait des sabots dans les forêts voisines ; il y a vingt-quatre auberges dans ce bourg.
Deux forêts considérables couvrent une partie du canton de Scaër. Celle de Coatloch, rendez-vous de chasse de la duchesse Anne, où l’on voit les débris d’un antique château, a six cents arpents d’étendue (environ 200 hectares). Elle est en coupe réglée depuis cent ans ; elle fournit des bois d’une grande beauté ; chênes, hêtres, bouleaux ; de la bourdaine en remplit tous les vides. C’est là qu’il fallait ordonner aux salpêtriers du Finistère de faire du salin, sans employer les landes, les genêts, les ronces de pays dépouillés, qui manquent de chauffages. On a quatorze coupes de cinq arpents à faire encore dans cette superbe forêt ; mais les charrois y sont d’une telle difficulté que j’ai vu des bois équarris, perdus dans les broussailles, abandonnés par leurs propriétaires. Cette forêt était entourée d’un mur épais, dont on voit encore les ruines.
La forêt de Cascadec, exploitée depuis très longtemps couvre environ sept cents arpents de terre : ses renaissances, ses hêtres et chênes sont de la plus belle espérance ; on pourra, dans quatre-vingt ans y faire de nouvelles coupes. Ce canton produit du seigle, des avoines ; le blé noir y réussit rarement ; on n’y sème point de froment. Si les eaux des vallons étaient mieux dirigées, les gelées n’attaqueraient pas les jeunes grains, et l’on aurait de meilleurs foins. 

 Un marais impraticable

Il faut monter au clocher de Scaër pour jouir d’une des vues les plus étendues de la Bretagne. Les terres qui l’entourent s’élèvent en amphithéâtre, et forment une chaîne de montagnes, couvertes de bois : l’horizon se termine au Nord par les montagnes Noires ; la montagne de Sainte Barbe, à l’Est, se confond avec les nuages, plus par sa distance que par son élévation.
De là on aperçoit l’état déplorable des rues de Scaër ; une eau fétide, infecte et verte se putréfie dans de sales rigoles. Dans le cœur de l’été même, une boue épaisse empêche de les traverser. L’hiver, ce bourg considérable, offre l’aspect d’un marais impraticable.
Presque toutes les maisons de Scaër sont couvertes de paille, incommodes et mal fabriquées, avec les plus riches matériaux, les pierres les plus belles.

"L’hiver, ce bourg considérable, offre l’aspect d’un marais impraticable" écrivait Cambry. Les sources abondent au centre bourg. Lors de la dernière rénovation de la rue Jean Jaurès en octobre 1984 ( RN ou RD 782 à l'époque, voirie communale aujourd'hui) ,un film géotextile fut déployé sous le bitume pour arrêter les remontées d'eau émanant de la nappe phréatique


Place de l'église : "La maison de la citoyenne veuve Guéguin est bâtie d’assises alternatives de cette pierre noirâtre, et d’une pierre de granit gris"

La forêt de Coat-Loc'h " fournit des bois d’une grande beauté ; chênes, hêtres, bouleaux"

On trouve de quatre espèces dans les carrières des environs ; le granit à gros grain, micacé, friable, sur la côte. Une espèce de schiste feuilleté, qui se travaille avec la plus grande facilité dans la carrière et durcit l’air en fort peu de temps : la maison de la citoyenne veuve Guéguin est bâtie d’assises alternatives de cette pierre noirâtre, et d’une pierre de granit gris, à petit grain, qu’on trouve à Saint Michel,( Loge-Gaor) à moins d’une demi-lieue du bourg. La quatrième pierre, assez commune, est un quartz cristallisé, du terrain de Kerambars et de Saint Jean, à trois quarts de lieux de Scaër".

Le chemin de fer a touché le vieux bourg perdu

Un siècle plus tard, en 1895, Louis Tiercelin dresse aussi une description du bourg dans son ouvrage consacré à Brizeux paru en 1905 : « Aujourd’hui, il n’en est plus ainsi ; les rues sont fort praticables, même en hiver, et les maisons sont habitables aussi, en toute saison.
À considérer les choses, et les bourgs, sans prévention d’aucune sorte, Scaër est un gros bourg sans caractère ; c’est une large rue toute droite, qui est la grande route de Rosporden au Faouët, et sur laquelle s’embranchent de petites rues tortueuses, dont quelques-unes, la rue de Coray entre autres, ne manquent pas de pittoresque. L’agglomération des maisons augmente à mesure qu’on s’avance dans la Grande Rue ; à droite, la place du Marché et l’École et maintenant, la Gare, car le chemin de fer vient de s’allonger jusqu’à Scaër ; au bout, à gauche, l’Église, une grande église moderne un peu nue et, sur la pente, un peu au-delà, à droite, le château des Kerjégu.
Il y a quelques années encore, on voyait à gauche et en avant de l’église nouvelle, un illustre débris de l’ancienne, la Vieille Tour (
ancien clocher). Après des négociations orageuses et non sans opposition et sans colères de beaucoup de paroissiens de Scaër, la Vieille Tour a été vendue à la fabrique de Guiscriff, bourg voisin et rival de Scaër. Les vieux n’ont pas vu sans douleur s’en aller les charrettes qui emmenaient pierre à pierre leur célèbre clocher et, un moment, on a pu craindre des esclandres. Ceux qui veulent admirer l’ancien clocher de Scaër vont désormais à Guiscriff, dont il domine la petite église.

Une large rue toute droite, qui est la grande route de Rosporden au Faouët...



...sur laquelle s’embranchent de petites rues tortueuses, dont quelques-unes, la rue de Coray entre autres, ne manquent pas de pittoresque



La beauté de Scaër est surtout dans sa campagne : ses deux forêts, Coat-Loc’h et Cascadec, sa jolie rivière l’Izole, ses prairies opulentes, ses petits chemins, ses « chemins creux » surtout, profondément encaissés entre de hauts talus où saillissent d’énormes racines, encerclés de branches vertes ; ses chapelles : Coadri, Penvern, Saint-Jean, Plazcaër, Saint-Paul, Saint-Adrien, Saint-Gwennolé. Le pittoresque de Scaër est dans ses costumes : celui des hommes a presque disparu ou s’est totalement transformé ; celui des femmes subsiste et, malgré quelques modifications aussi, demeure l’un des plus élégants de la Galerie Bretonne…
…C’est aux veillées, aux « fêtes de charroi, » aux cérémonies des baptêmes, des « aires-neuves, » aux danses, aux luttes, aux pardons, qu’il faut chercher encore le charme de la vie bretonne à Scaër. Il y a un ou deux pardons à chacune des chapelles : il y en a trois à Coadri.. Le grand pardon du bourg en l’honneur de Saint Alain et de Sainte Candide, a lieu le dernier dimanche d’août. Les foires aussi sont intéressantes, surtout la foar ien en novembre ou foar koumananchou
( foire des Gages).
Jusqu’à ces dernières années, loin de tout commerce et à l’abri de la civilisation, si j’ose m’exprimer ainsi, Scaër avait gardé les anciennes mœurs et les anciennes coutumes. Sur les choses et sur les êtres, la vieille empreinte bretonne demeurait fortement marquée. Je ne crois pas qu’elle puisse subsister longtemps désormais, et il faut se hâter de regarder, pendant qu’on le peut encore ».
 Cette description se  conclut avec un brin de nostalgie : « Tout ce que Brizeux a cherché, ce qu’il a vu, ce qu’il a aimé, tout ce qui fait le pittoresque de Scaër doit disparaître selon la loi des choses : le chemin de fer a touché le vieux bourg perdu ».

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