En 1895, Louis Tiercelin, compulsa un volumineux dossier de notes et de lettres écrites par Brizeux à son ami Lacaussade entre 1832 et 1857. Dans ces documents, il trouva un carnet de notes : Séjours à Scaër". Ces lettres sont presque toutes datées de Scaër et ces notes ont été prises au cours des voyages de Brizeux en Bretagne. Tiercelin en fit une synthèse dans son libre Bretons de lettres paru en 1905.
Dans l'extrait suivant, Louis Tiercelin relate une fête organisé pour solenniser son départ de Scaër
"C’était en juin 1834. Le dimanche 7 juin, son ami Berthel va faire bannir (annoncer) la lutte à Bannalec, à Kerrien et à Sainl-Urien. On pense si la nouvelle devait être bien accueillie ! « Le vieux Daniel de Kerrieu a dit que la lutte lui ferait plus de plaisir que quatre écus. » Ce jour même, on avait banni la lutte à Scaër au sortir de la grand’messe. « La joie est partout ! »
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C’est le mardi qu’a lieu la lutte. Le matin, c’est un bal Gherné,( Gerné= Cornouaille) sur la route. Vers midi arrivent les lutteurs et les coureurs ; les auberges sont pleines. Les anciens conseillent les jeunes.
Courses pédestres
Les courses ont lieu depuis l’auberge de Rodallec jusqu’à la route de Bannalec. Brizeux en a noté les péripéties et a conservé pour la postérité les noms des vainqueurs. Les voici, tels qu’il les donne.
jeunes gens de 18 ans.
1er Prix, Jakez Robin.
2e — Herri ar Goff.
3e — Robin l’aîné.
hommes (30 ans).
1er Prix, Un tailleur. (Admirable !)
enfants de 12 à 15 ans.
1er Prix, Kristoc’h ann Deiz.
2e — Bertrand Rodallec.
3e — Louzik ann Deiz.
Les luttes
Les courses achevées, on se précipite vers le pré de Rodallec ; les binious sonnent. L’arbre des luttes scintille au soleil, portant dans ses branches des chapeaux, des mouchoirs et des galons d’argent ; c’est Rodallec qui le porte. L’ami Berthel, lui, conduit le mouton noir, dont les cornes sont entourées de rubans et de lacets d’argent. La foule suit !
Les commissaires sont Sevenet et Ar Goff. Voici Brizeux qui s’avance vers le groupe des lutteurs et leur rappelle qu’il faut lutter loyalement et ne pas se porter de mauvais coups.
La lutte commence. Ce sont d’abord des enfants de quinze ans. Per Prijann et Kristoc’h ar Goff obtiennent un prix ex-æquo. Puis, les jeunes gens de dix-huit ans ; Herri ar Goff obtient le premier prix ; Iann Riwall de Guiseriff a le second. Au tour de ceux de vingt ans, maintenant. Ce sont « deux admirables lutteurs » qui se partagent la récompense : Renan ar Goff de Guiseriff et Rouz. Herri Salaün et Ronan Fleitour, les vainqueurs de la lutte suivante, ont vingt-cinq ans. Le prix du chapeau, c’est Mikel Salaün qui le gagne. Il luttait contre Ronan Fleitour, un des meilleurs lutteurs de Scaër ; mais Salaün est un vieux routier, « beaucoup trop âgé pour lutter avec le jeune Fleitour, » et l’honneur est sauf tout de même.
Pour finir, c’est le prix du mouton. Korentin Guillomat de Scaër, bien qu’il n’ait guère que trente ans, est le plus fort lutteur du pays, Il s’était réservé pour la dernière lutte. Il est le grand triomphateur de la journée.
Et, en post scriptum, Brizeux fait le compte de ses dépenses.
Mouton et cordon d’argent : 4 ,50 francs
2 chapeaux : 5 francs
4 mouchoirs : 3 ,80 francs
Rubans : 3 francs
Prix en argent (courses) : 3 francs
Prix en argent (luttes) : 3 francs
Bancs : 3 francs
TOTAL : 25 ,30 francs
Heureux pays, heureux temps, qu’on me permette de le dire encore, puisque pour 25 fr. 30, on pouvait amuser plusieurs paroisses, boire dans les verres les uns des autres et souper chez les filles pour un franc et, pour un franc encore, déjeuner, dîner et coucher à l’auberge, et se faire, par dessus le marché, des amis qui fêtaient voire arrivée et qui pleuraient à votre départ. "
(*) : bannir : annoncer à la sortie de la messe
Source: Bretons de lettres