"Buhez ar Zent": religion et langue bretonne

Buhez Ar Zent était du milieu du XIXe siècle aux années 1930, un livre présent dans chaque famille bretonne. A la manière d’un almanach, il présentait pour chaque jour de l’année la vie d’un saint breton suivi d’une leçon de morale ou de religion. Tous les soirs, au cours du repas ou à la veillée, le père de famille où un enfant lisait la vie d’un apôtre, d’un prêtre, d’un martyr, d’un roi ou d’une reine et de la méditation en lien avec cette biographie. On apprenait à la fois le catéchisme et la lecture du breton.


La dernière édition de Buhez Ar Zent

La statue de Sainte Candide dans l'église de Scaër


 Les paysans savaient lire le breton

Yann Brékilien , dans son livre « La vie quotidienne des paysans bretons au XIXe siècle » évoque ce rituel quotidien : « Il n'était pas de jour où un moment ne fût consacré à la lecture à haute voix de la Vie des Saints, Buhez ar Zent. C'était souvent pendant le repas du soir, tout comme dans les couvents, et le rôle de lecteur était dévolu au plus jeune des enfants connaissant ses lettres. Il conservait cette charge jusqu'à ce qu'un de ses frères ou sœurs puînés fût devenu capable de l'y remplacer.
"En amzer gwéchall, é koad Néved, é-kreiz Bro-Gerné, é vévé daou vanac'h.", chantonnait l'enfant courbé sur son livre, et la famille, les domestiques, attentifs et silencieux, étaient transportés au plus profond de la sombre forêt où deux anachorètes menaient une vie encore plus dure que la leur.
L'enfant qui s'acquittait ainsi chaque soir de son office de lecteur était, au regard des règlements officiels, un « illettré ». Si on lui avait mis entre les mains la traduction française de son texte : « Au temps jadis, dans la forêt de Névet, au milieu de la Cornouaille, vivaient deux moines... », il aurait été bien incapable d'en ânonner le premier mot. Pourtant, la tradition de ces lectures de Vies de Saints avait pour conséquence qu'il n'y avait guère d'analphabètes dans les campagnes de Basse-Bretagne. Les paysans, incapables de lire le français — langue, ignorée, d'ailleurs, de la plupart d'entre eux — savaient lire couramment le breton. Cette science se transmettait de mère à enfant, sans passer par le canal de l'école
» …
Certes, les vénérables prêtres et moines auteurs de Vies de Saints proposaient à ses méditations l'exemple de saint Pierre, de saint Paul, de saint Jean, mais ils étaient bien obligés de faire aussi une petite place à quelques-uns des 7777 saints locaux pour lesquels les Bretons avaient une grande dévotion. Ces saints avaient pris la place des divinités ancestrales celtes ou gauloises ou romaines. Le christianisme s'était, superposé aux anciennes religions druidiques sans que le peuple abandonnât ses croyances et ses pratiques. 

Santez Vennok


La biographie de Sainte Candide était lue le 4 septembre


Dernier paragraphe de la biographie : Elle est honoré à Scaër et Tourc'h sous le nom de Sainte Candide . Après la biographie, une lecture à méditer" Sonjomp Ervad"


Ainsi, dans l’édition de 1929 de la vie des saints de M Marigo (*), on lisait la vie de  Santez Vennok ou  Sainte Candide honorée à Scaër le 4 septembre.

Voici la traduction quasi littérale des réflexions " Sonjomp Ervad", ( Bonne méditation)
Trois choses perdent l’homme : l’orgueil, la richesse et la chair. Vennok aurait pu avoir sa part des plaisirs de ce monde parce qu’elle avait de la naissance de l’instruction, un rang, de grands biens et il lui était proposé une belle fortune.
 Avec la peur de perdre son âme, elle fit vœu comme toute les religieuses : elle cacha sa naissance et son instruction dans un lieu sauvage et désert, vécut pauvre après avoir abandonné la richesse qu’il y avait chez son père, un roi  du pays anglais, vécut vierge parmi les jeunes filles de son âge.
 Quelle leçon pour beaucoup de  personnes qui disent « J’aimerais être à Dieu moi aussi mais je ne le peux pas » . Si vous être appelé en vérité, pourquoi est-ce que ce serait plus difficile à vous que ce n’était pour cette sainte.


Livres rares

Leçons de l’Évangile qui sont chantées ou lues lors des messes des dimanche et des grandes fêtes

Un livre d'heures breton-latin.



L'évangile du dimanche


Ce genre de livres est encore présent dans les greniers ou armoires

Certaines familles consultaient en outre l’évangile en breton et même des livres de prières breton-latin , livres devenus rares que proposent toujours les bouquinistes. Ainsi  ces livres d'heures : recueil de prières liées aux heures de la journée, la liturgie tout au long de l'année, mais aussi parfois des psaumes, les évangiles ainsi que des offices particuliers ( Wikipédia)

Quant à la langue bretonne de ces ouvrages, elle appartient à son époque, celle où la norme orthographique KLT ( Kerné-Leon Trégor) n’était pas encore répandue. Parfois, elle est d’un bon niveau dans le dialecte breton  parlé dans le Nord-Finistère.  Elle comporte aussi parfois trop de mots français « bretonnisés ». Ainsi la page « Prefas  ac avertissament » en introduction du livre «  Heuriou brezounec ha latin ».  Aujourd’hui, en breton littéraire, on écrirait «  rakskrid ha kermenn. Ce n’est pas du breton de cuisine mais du breton de sacristie!

(*) L’abbé Claude-Guillaume Marigo (1693-1759) est l’auteur de cet ouvrage publié en 1752, réédité et augmenté au moins 20 fois dont la dernière en 1927

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