Le Père Robert Le Mao : 28 ans en Afrique

Le père Robert Le Mao (1915-1996), de la mission des pères blancs, était né à Coray. Il avait des attaches familiales à Scaër : Kerdiouzet, Trevalot et Kerbruc. Souffrant d'une maladie tropicale, il s'était retiré à la maison de retraite de sa congrégation à Tassy-Tourette (Var). après avoir passé 28 ans au Mali. Nous l’avions rencontré en 1978 alors qu’il séjournait à Kerbruc car il remplaçait durant l’été un prêtre de la paroisse de Scaër.

« Combien tu me payes ? »

 Ordonné prêtre en 1947, le père Mao quitta la France en 1948 pour le diocèse de Kayes, dans l'ouest malien, non loin de la frontière sénégalaise mais à 500 km de Bamako et à 1.200 de Dakar. Sa biographie signale qu'il commença par apprendre la langue de la région puis fonda une mission . dans les années 1950, il eut outre son rôle de missionnaire celui d'économe local chargé  de " faire produire le jardin". Il  était  estimé de tous et  avait  de  bons  rapports  avec  la population. Selon le témoignage de son Chef de mission, c'était "un missionnaire très sérieux, surnaturel, zélé, qui faisait son travail en silence et avec générosité."

Robert le Mao  témoigne de cette époque: « Le rôle d'un missionnaire, c'est bien sûr d'annoncer l'évangile mais j'ai commencé par créer un dispensaire, pour soigner les plaies, les autres maladies étant attribuées au mauvais sort. Puis il y a eu l'école. Les parents disaient au départ « Combien tu me paies pour mettre mon fils à l'école », s'imaginant que le blanc avait un quelconque intérêt à apprendre à lire aux enfants. Par la force des choses, nous étions obligés de suppléer l'État. Et aujourd'hui, c'est un peu cela encore avec les religieuses qui dispensent une aide sociale ».

Au Mali, coexistent de la façon la plus pacifique, une écrasante majorité musulmane teintée d'animisme et un noyau de catholiques : « Il y a eu certes une évolution mais l'esprit africain est parfois difficile à concilier avec la religion. Il y a des catholiques fervents : une vingtaine de prêtres et trois évêques maliens prennent la relève des missionnaires de moins en moins nombreux. Le Mali semble moins christianisé que la Côte d'Ivoire ou le Sénégal par exemple ».

 

Robert Le Mao , ici à Kerbruc, a  vécu 28 ans au Mali



Le diocèse de Bayes jouxte le Sénégal

L'opposition ville-campagne


Demandons au père Mao s'il souhaiterait retourner en Afrique, en tant que jeune missionnaire : « Oui, bien sûr, mais à condition d'aller en brousse. La brousse, c'est plus sympathique, plus naturel. Même si les gens sont païens, ils ont cette honnêteté naturelle que la ville tend à détruire. Je peux laisser ouvertes les portières de ma voiture  dans un village, on ne me la volera pas. Tandis qu'en ville... Et puis, il y a les jeunes qui viennent en ville, à la recherche d'un emploi, si possible dans un bureau. Mais, il n'y a pas de travail  pour tous, ils ne retournent pas pour autant au village et vivent grâce à leur « débrouillardise ».

Pourtant, les routes se sont améliorées. Des dispensaires existent ainsi que des écoles dans les campagnes. L'attrait de la ville reste plus fort. La coopération internationale (URSS, Europe, Chine) développe les industries du pays : sucreries, tissage, savonneries. Il est vrai que cette manne profite plus aux villes qu'aux campagnes qui ne la reçoive « qu'au compte-gouttes » selon le père Mao.

La situation matérielle du paysan n'a que peu évolué depuis l'indépendance. Il faut dans ce tableau tenir compte aussi de la sécheresse en 73-74 : « Les gens ont tout perdu. Depuis, on refait les troupeaux, en sélectionnant les animaux. On a essayé de fixer les éleveurs touaregs au bord du fleuve et de les inciter à la culture, cela n'a pas réussi... Les chèvres... un véritable poison, car elles mangent toutes les jeunes pousses. Alors, on perd son temps à planter un arbre à cultiver.

« Le pays est riche en minerai. Un technicien européen me disait qu'avec un tel minéral, en Europe, l'exploitation commencerait dans un mois. Mais ici, nous sommes en brousse, à 1.200 km de la mer ». Le minerai attend : un avenir pour le pays et donc un espoir.

 Le système familial africain


Comme dans les autres pays d'expression française, des cadres maliens sont venus se former en France. Ils peuvent maintenant tenir un poste avec compétence.

C'est alors qu'intervient l'esprit familial africain qui veut que chacun aide, accueille, nourrisse les membres de la famille dans le besoin. « L'esprit africain est porté naturellement au partage. Malheureusement, Il y en a qui profitent trop de la bonne fortune, de la bonne situation d'un membre de la famille. D'où quelque chose que nous appellerions chez nous « corruption ». On essaie de bien placer le petit frère, les biens collectifs du pays sont accaparés par certaines personnes. Aujourd'hui, certains Africains sans renier la famille commencent à rejeter les « parasites » qui gravitent autour d'eux et de leur salaire. On n'est pas toujours bien reçu quand on vient de la campagne chez le cousin de la ville ».

De son expérience africaine, le père Mao gardait un bon souvenir et restait confiant dans l'avenir d'un monde qu'il avait vu naître « à condition que l'honnêteté s'allie un peu plus à une compétence qui commence à exister ».

Prisonnier de guerre

Avant guerre, Robert Le Mao était séminariste. Mobilisé  en 1939 lors de la déclaration de guerre, il  fut  légèrement  blessé  à l'épaule en juin 1940 et  hospitalisé à Rambouillet où  il  séjourna deux  mois.  Les Allemands ne l'avaient par perdu de vue et, une fois rétabli, il fut envoyé dans un stalag, en Saxe. La suite est une véritable aventure que Robert a racontée lui-même dans une lettre au Supérieur  Général de sa congrégation,  à  la  fin  de  la guerre." En 1942, les autorités du stalag décidèrent  de  mettre à part les  prisonniers  de  toutes  couleurs,  originaires des colonies, supposés ne pas supporter le froid. Robert réussit à se faire passer pour un  Arabe  et  fut ramené  en  France  avec  quelques confrères.  Le convoi les amena jusqu'en Gironde où ils furent affectés à divers chantiers, comme travailleurs civils.  Robert fut envoyé dans  une poudrière où  il  était employé tantôt comme secrétaire, tantôt comme manœuvre.  Un des confrères qui était avec lui obtint d'être libéré, un autre fut affecté à Béruges près de Poitiers. Resté seul, Robert décida de prendre la clé des champs.  Il alla se cacher dans la  campagne de la Saintonge; la  feldgendarmerie  le  rechercha, sans excès de zèle. Ainsi il resta clandestin jusqu'à la Libération".

Il  était  estimé de tous et  avait  de  bons  rapports  avec  la population malienne



Sources : Archives de la Mission des Pères blancs