Les " supermarchés" de nos campagnes

Anecdote caractéristique recueillie en 1987 : une petite citadine en vacances chez ses grands-parents habitant à Stang faisait la réflexion suivante : « Mamie, on va au supermarché ». En fait de supermarché, il s'agissait simplement d'aller à l'alimentation-café-bazar du quartier tenue par Mme Boëdec et promue au rang de supermarché du fait qu'on pouvait y acheter des articles variés. Ces « supermarchés de campagne ont aujourd’hui cessé leur activité. Seul  subsiste en 2022, la boulangerie-bar-épicerie du Bel-Air dénommée affectueusement " le pain qui saoule".

L'inventaire de ces commerces multi-services implantés dans nos campagnes révélait la présence dans les années 50-60, d'un nombre impressionnant d'épicerie-café-boulangerie-forge dans les différents quartiers. À Saint-Guénolé, il y avait une boulangerie, une alimentation, plusieurs cafés, un tailleur. A Miné Tréouzal, quatre commerces aussi, dont deux forges, un tailleur, une alimentation ». Aujourd'hui ces commerces ont disparu et seul le vent ou la pluie hantent encore les « rues » désertes de ces quartiers autrefois populeux.


Une clientèle d'habitués


Ces commerces ruraux servaient une clientèle d'habitués vivant à proximité. On y venait pour le pain, une livre de café, quelques oranges, un sac d'aliments du bétail, une faucille, une bouteille de gaz, une paire de sabots...

 A Saint Jacques, un des derniers "supermarchés" de campagne
L'inventaire des produits commercialisés dans ces commerces de quartier est très vaste : Dans les années 80,sont apparues les vitrines réfrigérées pour les produits frais. Autre commodité : l'horaire souple des ouvertures, entre 8 h et 22 h. « Nous avions une clientèle régulière avec des habitudes régulières », soulignait en 1987 Mme Cottenec, qui tenait un café-alimentation à Miné Tréouzal jusqu'au mois d'octobre 87 : « tel jour pour le pain, tel jour pour la salade », et d'ajouter : « Si ce client ne venait pas pendant deux ou trois jours, c'est qu'il était malade ».
Sociologiquement, on comptait dans la clientèle beaucoup d'hommes célibataires, au-delà de la quarantaine, des veuves aussi, des femmes qui n'ont pas appris à conduire.
Cette clientèle était essentiellement agricole : point n'était besoin de se changer après la traite des vaches pour aller au pain au commerce du quartier. Les jeunes qui se sont installés dans les campagnes n’étaient pas des clients réguliers en général : Ils y venaient sporadiquement pour un « dépannage » quand il manquait une denrée de première nécessité.
Voilà pour ce qui est de l'aspect économique du problème, peut-être celui qui n'est pas le plus important si l'on s'en tient à la « communauté » que constituait le village autour de son commerce.

Téléphone public , bureau de vote


Ce café-alimentation, qu'il soit à Loge-Gaor, à Coadigou ou à Saint-Guénolé abrita longtemps le poste de téléphone public. Les gens du quartier venaient y appeler le médecin, le vétérinaire ou l'inséminateur. A Miné-Tréouzal, Stang, Coadigou, c’était aussi le bureau de vote. Les jours d'élections, on passait par le bar après avoir voté. C'était encore un point de ralliement le dimanche soir après le match, un lieu d'échanges après une journée de travail, le lieu de réunion pour le comité des fêtes du quartier.

Une réunion du comité de la chapelle de Saint Paul à Miné-Tréouzal

« Nous avions aussi un rôle d'écoute et d'attention aux problèmes des gens. Ils nous faisaient part de leurs peines, pas toujours de leurs joies. C'est ici que l'on apprenait les nouvelles du quartier, sur la santé de chacun ».

Les causes du déclin de ces commerces ruraux sont multiples : dépeuplement des campagnes, diminution du nombre d'agriculteurs, développement de la circulation automobile. " Les gens ont vieilli, les maisons se sont vidées, la vie s'est accélérée : nous avons subi le changement en nous essoufflant ...On ne peut pas dire que l'on gagnait bien sa vie, on vivotait, les charges n'étaient pas trop lourdes, on pouvait élever ses enfants à la maison. En revendant le fonds de commerce, on avait quelques économies pour notre retraite. Mais, de nos jours les charges sont devenues trop lourdes, il n'y a que peu d'espoir de reprise d'un commerce en zone rurale". Pour le commerçant, cette fermeture est ressentie douloureusement : « Cela fait très mal, ce n'est pas pour ce que l'on gagnait derrière un comptoir, mais c'est la rupture avec toute une vie de contact, de relation avec des habitués. Ici à Miné-Tréouzal, nous étions en outre le point de ralliement entre Scaër et Guiscriff. Il aurait suffi d'une clientèle qui vienne au moins une fois par semaine pour que ce commerce garde sa raison d'être ».

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