Jean Solliec, bouilleur de cru



Décembre 1976 : dans un bas-fond entre Kerveguen et Kérédec, à Scaër, une étrange installation qui étonne seulement les étrangers. Jean Solliec que tout le monde connaît comme étant le « Potr-Lagout »  transforme le cidre en alcool d'octobre à mars depuis 30 ans .
Faire du « lagoût »  c'est un art qui demande un long apprentissage et une connaissance approfondie de la machine. Il y a d'abord le feu : « L'art de taire du feu, c'est l'art de taire de   l'alcool  ,  précise  M. Solliec. L'appareil doit se mener régulièrement, pas   trop   de   chaleur, plutôt   une  chaleur  régulière,   donc pas plus d'une bûche à la fois. Et il faut choisir le bon bois. SI c'est du bois pourri, alors.... ».  Et   le   Potr-Lagout raconte,   la   main  testant  à  tout  moment la température de la canalisation de sortie de l'alcool,   geste   souvent   répété,   si bien que  cette  partie   de l'alambic garde   la   couleur  du   cuivre alors qu'ailleurs il est recouvert de suie.


Jean Solliec à Stang Kérédec

M. Guillamet à Kervennou


 On ne fait pas de bon « lagout »  avec n'importe quoi

Pour faire 20 litres d'eau de vie, litrage maximum auquel chaque propriétaire d'un  droit peut prétendre, II faut une barrique de cidre. Mais de la qualité de l'apport initial dépend le produit fini. Il faut filtrer sinon, les pépins, la lie, les Impuretés diverses, souilleraient la machine et l'alcool. « L'alcool perdrait son bouquet », selon l'expression de M. Solliec.
M.Solliec parle de son métier un comme un maître-verrier, ou un artisan d'art. « Dans mon appareil, l'alcool n'entre pas en contact avec le feu... C'est le cidre lui-même qui assure le refroidissement de l'alcool condensé... Celui-ci n'a pas de goût au sortir de l'alambic. C'est le temps qui lui donnera son goût, son parfum ».
L'appareil ne fait pas de miracle : si le cidre est mauvais, le  lagout  en gardera  l’'empreinte.
L'alcool s’écoule dans un seau que le bouilleur de cru versera ensuite dans un récipient gradué. Avec un alcoomètre et un thermomètre II vérifiera si la concentration légale n'est pas dépassée. Il faut faire de savants calculs pour trouver l'équivalence si la température atmosphérique n'est pas Idéale.

 Tracasseries administratives

Le profane n'imagine pas le nombre de démarches administratives que nécessite la fabrication de 20 litres d'alcool. Il y a tes déclarations de transport du cidre, l'indication et l'inscription Immédiate de la personne pour qui le « laqout , est fait, la déclaration du transport de l'eau-de-vie. « II faut que je fasse d'incessants va-et-vient entre Bannalec et Scaër. Sinon... ». Jean Solliec imagine ce qu'il lui en couterait s'il n'était pas en règle : la fin d'une carrière et peut-être la destruction de la machine. Jean Solliec, qui respecte la législation à la lettre, signale le « sacrilège  commis un jour car un contrôleur qui pensant que les 20 litres réglementaires étalent dépassés, vida par terre le contenu... d'un verre  d’eau-de-vie.

La fin des bouilleurs de cru ?

Tous les exploitants agricoles producteurs de cidre considèrent comme un droit « coutumier » la possibilité  d'avoir le droit de faire du  lagout . Il se trouve que les exploitants nouvellement installés perdent ce droit pour des raisons d'ordre, fiscal. Que posent vingt litres d'eau-de-vie dans la consommation nationale ? Cette perte du droit de faire de l'eau-de-vie prévue pour diminuer en principe la tendance à l'alcoolisme dans notre région ne porte pas ses fruits. L'alcool non produit sur place est acheté dans le commerce. Certains y gagnent peut-être. En tout cas une « injustice  mesquine de la part de l'État » estime M. Solliec. Les alambics fonctionnent tant que leur état le permet. Arrive la défaillance et toute réparation est subordonnée à l'avis de l'administration, qui peut détruire alors l'appareil « à coups de pioche ».


Gérard Le Bris entre Kerflous et Broust


Et aujourd'hui ?

 

Au début du 20e siècle, l'alambic allait de ferme en ferme trainé par un cheval. Puis il fut installé près d'un point d'eau,à Stang-Kérédec et près de Kervennou. " C'est utile pour laver les fûts" confiait M. Guillamet, un autre bouilleur de cru de la même époque. " Mon appareil  est monté sur des pneumatiques et je l'attache derrière le tracteur. Je travaille à Saint -Yvi, Rosporden, Kervennou, Kervéguen. A Scaër, je vais cherche le cidre chez le client. Mais ailleurs, il vient me l'envoyer".
 Au début de  ce siècle, le conseil municipal lui a attribué ensuite  un autre site sur une aire de stockage de matériaux entre Kerflous et Broust. Gérard Le Bris  y trouvait son compte  : «  L’endroit est idéal ; c’est plus propre, plus facile pour stationner. Il n’y a pas besoin d’eau comme autrefois pour refroidir l’alambic ; on utilise le cidre qui rentre  pour refroidir  la machine. Pour couper l’eau de vie , j’amène environ 80 litres d’eau potable avec moi par  jour ».

 Ce bouilleur de cru intervenait dans un secteur allant de Plovan à Pontivy car la clientèle s’est raréfiée : "Les droits des anciens ont été prorogés jusqu’en 2012 : certains retraités l’ignoraient. Ils pensaient que c’était fini en 2007 et n’avaient plus ramassé de pommes".
Parallèlement aux droits acquis  des anciens agriculteurs, les jeunes qui font du cidre et souhaitent le distiller en eau de vie doivent acquitter un droit de 74 € pour les 20 litres qui leur accordent la réglementation. La fabrication revient à 45 € pour celui qui vient amener sa barrique, il faut ajouter 15 euros si je vais chercher le cidre. Si l’on ajoute la taxe, on arrive à 133 euros pour 20 litres soit plus  de 6, 50 € par litre, confiait-il en 2005
Gérard Le Bris défendait les traditions rurales en voyant dans le « lagout » plus qu’un alcool rustique : « Chez les bigoudens, ils ont lancé le mélécass, un mélange d’eau de vie et de cassis. Il y a aussi la Marie-Chatouillette qui est un cocktail de trois-quarts d’eau de vie plus un quart de sirop de canne. A boire très frais et avec modération ».  Il demeurait optimiste quant à la poursuite de son activité . Mais,il va falloir regrouper plusieurs commues au même endroit pour continuer à tourner ».
Depuis 2018 Mathieu Huet, demeurant à Clohars, a succédé à Gérard Le Bris.