Vieux Villages

Poésie et Nostalgie









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L'ABANDON  Pierre Jakez Hélias


Vieux villages des terres bleues.
Tourbe, lande et bruyère,
Le grain pourrit, les arbres meurent.
Vieux villages des hauts déserts,
Traversés du galop, poussif d’un  cheval
Qui prend peur au bruit des ardoises
Glissant des toits  fourbus,
L'espoir  a fui sans laisser  d'ombre.
Vieux villages  largués  par les chemins de terre
Dont  le fil s'est cassé,
Dont  le fil se défait dans la boue et l'ortie
Et la vesce et l'euphorbe  et la  ronce
Qui trompent  le facteur  trois fois l'an :
Quelqu'un écrit  qu'il  ne vient pas.
Vieux villages hantés de vieilles gens
Qui n'ont  plus de dents pour  siffler,
Plus de sourires  pour  les aubes ou les enfants,
Avais-je donc  si peu de fils, commère,
Qu'il ne m'en  reste pas un seul !
Plus de géranium aux fenêtres,
Plus de calendrier  au mur
Avec  les lettres  rouges des dimanches
Où l'on  revêt de grands  habits
Pour aller voir de près les cloches,
L'oreille est sourde et feu le cœur. 

Vieux  villages plantés dans  l'infertile,
Pavés d’agate ou  d'améthyste,
Durcis de sueur et de pain  noir,
Vêtus de roseaux et de chanvre,
Réchauffés de tourbe et  d'enfantements,
Défrichez  donc,  bonhomme!
Vous avez levé la marre et la houe
Contre  les ajoncs qui  mordaient  vos seuils.
Vous voilà devenus des îles dans les seigles,
Vous voilà conquérant  des chapeaux  de velours,
Des coiffes de dentelles,
Des toits de pierre bleue.
Votre corps s'est  nourri de viandes fraîches,
De lits cloutés, d'armoires  d'if
Et de suspensions à pétrole.
Mais le fruit de vos entrailles s'en  allait
Par terre et mer, au moteur,  la machine,
Et Brest et Nantes, cinéma,
Et Paris et les Pays Noirs, à tire-d'aile,
Vers d'autres champs  inconnus de vous
Qui n'avez cure que des vôtres.
Quand vous avez frotté vos yeux,
Les vagues de l'ajonc  refluaient  sur vos ruines.
Vieux villages, descendez en terre !
Vos temps sont révolus.
 
 
 
 
 
 
 Comprenez
 
Dans ce poème,les images mentales traduisent des faits, des émotions. Petite explication prosaïque pour bien comprendre  ce poème. Il raconte la mise en valeur à la fin du XIXe et le début du XXe siècle des terres non exploitées jusqu’à alors (Tourbe, lande et bruyère, hauts déserts).
Des hameaux ou des petites fermes abandonnés à partir des années 1950 ( ardoises glissant des toits fourbus), plus de chemin pour y accéder ( chemins de terre dont  le fil s'est cassé, dont  le fil se défait dans la boue et l'ortie).
Les paysans qui avaient défriché ces terres ont vieilli (Vieux villages hantés de vieilles gens) et vivent isolés (
le facteur passe  trois fois l'an :Quelqu'un écrit  qu'il  ne vient pas.).Les enfants n’ont pas pris la suite (Avais-je donc si peu de fils, qu'il ne m'en  reste pas un seul). Cette  civilisation rurale a disparu (Plus de géranium aux fenêtres, Plus de calendrier  au mur avec  les lettres  rouges des dimanches  où l'on  revêt de grands  habits pour aller voir de près les cloches).
La seconde partie explique ce changement. Des pionniers avait mis en valeur ces terres (Vous avez levé la marre et la houe contre  les ajoncs qui  mordaient  vos seuils). Les terres sont devenues fertiles ( les villages sont désormais des îles dans les seigles). Une certaine prospérité a suivi (coiffes de dentelles... toits de pierre bleue.... viandes fraîches... lits cloutés... armoires  d'if..., suspensions à pétrole).
 Mais leurs enfants sont partis vivre ailleurs (le fruit de vos entrailles s’en allait)  dans les grandes villes ou l’étranger (Paris et les Pays Noirs). En quelques années, ces petites fermes aux terres pauvres ont été abandonnées (les vagues de l'ajonc  refluaient  sur vos ruines). Parfois, la trace même des ces "penty" disparait ( Vieux villages, descendez en terre ) .
 Le monde a changé (Vos temps sont révolus).


L'exemple typique: La maison de Yann Gourlay (cercle) à Miné Kerfring en 1952 et 2021:elle est littéralement " descendu en terre" dans les années 1960 lorsque les parcelles ont été regroupées et que les tracteurs ont remplacé les chevaux.  A droite : la route de Gourin au niveau de Buralou . "Tourbe, lande et bruyère" qualifient bien les terres du Mine Wern Zu   A:  petits champs de 1952: ils sont devenus des fourrés ou des bosquets parfois des friches. B: A Prat Pont Person, le penty d'autrefois a été sauvegardé et abrite aujourd’hui des chambres d'hôtes. C: Le chemin de terre qui reliait Miné Kerfring à la route de Gourin. ( cliquez sur la photo pour l'agrandir)
 

  Maintenant, une seconde audition s'impose pour s'imprégner de la nostalgie poétique du texte de Pierre-Jakez Hélias

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