Youenn Gwernig avait été profondément traumatisé par les excès dont il avait été témoin en août 1944. Vingt ans plus tard, alors qu'il était à New York, il écrivit le poème « An daou vi » (les deux oeufs, en référence au crâne rasé des deux filles). Ce poème fut publié par la revue Ar Vro en 1966.
Deux œufs soulevés par des vagues de gens
qu’un vent de haine a rendus fous,
les petits crabes et les grands crabes qui se hissent,
hideux,
hors de la vase
le supérieur, sorti d’un long sommeil
en grande tenue de pressureur des siens
poussait et sacrait et jouait des pinces
pour être au premier rang.
Les deux filles,
l’une enceinte,
s’accrochaient à la crinière des chevaux pour ne pas tomber.
L’une voulut cacher ses cuisses,
faillit tomber,
fit rire tout le monde.
Longs cheveux, doux cheveux, cheveux bruns,
signe pur et beau de beauté,
tondus, jetés dans le crottin ;
signe pur et beau de l’honneur des femmes,
longs cheveux, doux cheveux, cheveux bruns
répandus sur la place comme du fumier aux champs.
An div c’hast,
Les deux filles,
l’une riait sans plus comprendre,
droites sur leurs chevaux, descendaient la grand-rue.
Fille publique : c’est devenu vrai
on les avait jetées en pâture aux cochons, aux gens, et aux enfants.
L’un des deux œufs percé,
l’autre brisé en mille morceaux,
la vie s’y accrochait trop dur,
l’une était enceinte,
deux œufs lancés à la fosse dans la carrière
avec des yeux peints comme des œufs de Pâques,
deux œufs à la pourriture
deux œufs, c’est tout.
Et vous les crabes, vous avez retrouvé votre vase ?
et vous les cochons, vous n’en voulez plus ?
Les filles que vous avez endormies pour toujours,
vous les avez lavées, lessivées et blanchies
mais aujourd’hui,
aujourd’hui que votre mitraillette s’est tue,
dormez-vous ?
Quand j’y pense,
il n’y en a que deux peut-être à pouvoir dormir tranquilles,
il n’y en a que deux qui ne soient pas coupables,
ces deux-là qui descendaient la grand-rue
les deux chevaux.
Youenn Gwernig ( carte postale) |