La tourbe, énergie de guerre



Le commerce de la tourbe comme engrais est aujourd’hui florissant. D'’aucuns l’utilisent comme litière dans les poulaillers et le mélange de tourbe plus fiente constitue un terreau fort apprécié des horticulteurs. Mais, durant la guerre 39-45, la tourbe locale servait à faire fonctionner la papeterie de Cascadec. Un ancien exploitant explique « J’ai commencé en 43 et cela a duré jusqu’en 1948. On est arrivé à faire de la tourbe, puisqu’il n’y avait plus de charbon qui arrivait à Cascadec. Et puis, on faisait de la tourbe pour les cuisinières du bourg aussi ».
Il y a eu plusieurs tourbières à Scaër, pendant la guerre  : à Mine Wern Zu, à la frontière avec Guiscriff  à Rosbic ( exploitée par Laurent Cariou, puis Jégou) ;  à Brennilio (Boédec). 
 
 
La tourbe a été utilisé durant la guerre à la papeterie Bolloré à Cascadec 

La papeterie Bolloré, qui faisait du papier à cigarettes,  a utilisé pour ses services, un mélange de tourbe et de charbon. Un essai de combustion des arbres de la forêt de Cascadec avait été tenté, mais les résultats n’avaient pas été probants. Les responsables de l’époque: MM. Garin, Goulm, Galles, La Feronnière, Mazé s’intéressèrent à la tourbe, abondante dans quelque marais de la commune, comme source d’énergie.  

Un travail de forçat

Le Lorientais Marcel Piriou s'était réfugié à Loge-Gaor , où il avait de la famille, après les bombardements .  Il témoigne  dans son livre " Quai des humbles"  des conditions de travail  dans les tourbières. Étant donné le contexte (les terrains marécageux proches de l'usine), il doit s'agir de la tourbière de Brénélio.

"Un jour, j'apprends qu'à Cascadec, la papeterie Bolloré, rationnée en électricité, cherche du personnel pour extraire de la tourbe. Sa centrale électrique, alimentée par quatre chaudières, manque de charbon, mais peut utiliser la tourbe présente dans les terrains marécageux proches de l'usine. Je suis embauché par un petit entrepreneur à qui les Bolloré ont confié le chantier.
Je commence là un travail de forçat. Dans le marais, la tourbe s'étale sur une profondeur de deux à trois mètres. Nous travaillons en deux équipes. Les "vieux", dans leur trou, doivent couper la tourbe en briquettes aux dimensions de la pelle : environ 30 cm sur 20 et 15 d'épaisseur. Ils balancent les briquettes au bord de la fosse. C'est un travail dur qui demande beaucoup de force et d'adresse. Les pieds dans l'eau, la tête dans la vapeur dégagée par les marais, les hommes cuisent littéralement dans cette atmosphère. Le soir, ils ont les bras et la figure brûlés et gonflés. Les "jeunes" sont en haut. Armés de sabres en acier, d'environ deux mètres cinquante de long, ils doivent prédécouper le terrain à la dimension des briquettes qu'ils chargent sur des civières portées ensuite sur des wagonnets. Chargé de cinq à six civières, chaque wagonnet, poussé par deux ouvriers, est hissé à flanc de colline, sur au moins deux cents mètres. Arrivé à destination, il est déchargé de ses civières portées pour répartir les briquettes sur le sol a 11 h qu'elles sèchent au soleil.
l lue lois vides, les wagonnets redescendent la pente  à grande vitesse  avec, dessus, les deux ouvriers. À l'arrivée, il faut faire vite pour sauter et freiner le véhicule. Il fallait recommencer ce manège plusieurs dizaines de fois dans la journée. Chaque jour, six tonnes de tourbe par homme étaient ainsi mises à sécher. Le soir, nous étions exténués. Le matin, j'étais tellement courbatu que j'éprouvais mille misères à enfourcher mon vélo. Un jour, je fus appelé à la direction qui recherchait des ouvriers professionnels pour l'entretien. Je fus embauché en qualité d'ajusteur. Mon premier travail, avec plusieurs ouvriers, consista à retuber une chaudière de la centrale électrique
."

En convoi vers Cascadec


La tourbière de Miné Wern Zu près de l'aérodrome de Guiscriff-Scaër
L'implantation de la tourbière  de Miné-Wern Zu (Source:Pôle relais Tourbières)

 

La tourbière de Bodoubanal-Mine Wern Zu, aussi appelée Toul Tourb est l'une tourbières de la cuvette sédimentaire de Scaër-Guiscriff. Elle pouvait couvrir  plus de 15 hectares, à la limite de Bodou Banal en Guiscriff. Voici comment on extrayait cette source d’énergie: « on enlevait d’abord la croûte herbeuse, puis avec une grande lame d’acier ( la tourbe ne colle pas sur l’acier ), on découpait des lanières, longues de plusieurs mètres et profondes de 1 à 1,50 m. La lame s’enfonçait comme « dans du beurre «. Ensuite, avec un petit couteau, on découpait des mottes carrées, de 15-20 centimètres de côté. »

Des wagonnets sur rails ( eh oui, il y a eu des rails dans le Mine Wern Zu ), transportaient cette tourbe fraîche vers une garenne où elle était séchée. Des femmes retournaient de temps à autre les mottes de tourbe pour qu’elles sèchent des deux côtés. Elles préparaient encore les briques de tourbe pour le départ.

Le transport se faisait par charrette. Charrettes à roue de bois « c’har rojou bara segal », puis plus tard, tombereaux montés sur pneumatiques. « On allait à Cascadec en convoi de 12 voitures. Chaque voiture chargeait environ 2 m3 de tourbe, soit 1,8 tonne. Je faisais trois voyages par jour avec mes deux charrettes attelées l’une à l’autre. Il fallait bûcher. Un mètre cube valait, au début, 350 francs, puis c’est monté jusqu’à 400 francs. On allait par Mine Wern Zu, rejoindre la route de Gourin puis Pont-Lédan ». La saison de la tourbe durait jusqu’en novembre.

Cette tourbière n’est plus exploitée; elle ne constitue même plus un but de promenade tranquille, car les divers incendies ont creusé des excavations souterraines invisibles de la surface, mais qui sont autant de pièges cachés, surtout si elles sont pleines d’eau. Aujourd’hui Toul Tourb n’attire même pas les chasseurs. C’est devenu une vraie brousse, mais des milliers de mètres cubes attendent de devenir une énergie rentable. Une anecdote: les extracteurs de tourbe ont trouvé à 1,50 m de profondeur, des troncs d’arbre fossilisés. Ce bois, très noir, dans lequel il est impossible de planter une hache, ressemblait à de l’ébène. Ces arbres millénaires, enfouis dans la tourbe, ont servi ... à faire des meubles.
 

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