En 2001/2002, dans la revue " Ami entends-tu" , Joseph Conan ( 1921-2010) raconta avec force détails ce que fut la période 1940-45 à Guiscriff.
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"Un détachement de l’armée allemande est arrivé à Guiscriff vers le 22 juin 1940 … ils ont commencé par réquisitionner l'école catholique et s'y sont installés ; je les ai vus le dimanche matin ; ils paradaient autour de la place…Il fallait bien accepter la situation, même avec la rage au cœur.
Comme il y avait très peu de radios (T.S.F.) dans les familles Guiscrivites, personne, probablement, n'avait entendu 1 l’appel du 18 juin du Général de Gaulle ; on en a entendu parler, quelques jours après ; avec Marcel Milliou, j'avais formé le projet d ' aller à Lorient, chercher un embarquement pour l'Angleterre ; sans connaître qui que ce soit pour nous aider, c'était une idée insensée qui ne pouvait naître que dans des cerveaux de 16 et 18 ans.
Refus du STO
Au début de mars 1942 est arrivé l'ordre : tous les jeunes gens, masculins, nés dans les neuf derniers mois de 1920, en 1921 et 1922, devaient se faire recenser à la mairie et une dizaine de jours après, subir une sorte de conseil de révision au Faouët ; les occupants et Vichy fignolaient l'opération dite de "la relève". Pour une masse de jeunes, en bonne santé, qui partaient, les allemands lâchaient quelques prisonniers de guerre, malades ; personne n'était dupe ; le refus quasi unanime ; sur les trois classes, seuls deux jeunes, deux frères, ont été au Faouët. C’était le premier acte de résistance à Guiscriff, mais il était massif …L ' attitude des occupants se durcissait au fil du temps, particulièrement après leurs défaites de Stalingrad, de Koursk, de Lybie, couvre-feu, contrôles fréquents, rafles ; en plus des livraisons obligatoires, les réquisitions se faisaient fréquentes, les cultivateurs étaient tenus d' aller avec leurs attelages et charrettes faire des corvées. En Février 1943, un commando de Scaër est arrivé à Tréguirzit et a enlevé le tiers de la meule de foin de mon père qui n'en avait pas assez pour finir l'hiver. Le ravitaillement était désastreux. A la campagne, il y avait des pommes de terre, ce n'était pas le cas au bourg, particulièrement pour les nombreux réfugiés !orientais.
Les Premiers résistants
A partir de 1943, l'espèce de brouet cuit, appelé pain, n’était pas toujours suffisant pour honorer les tickets. Beaucoup de personnes avaient un début de scorbut, les dents se déchaussaient, les gencives devenaient putrides. Au début de 1943, le mot "Résistance" a commencé à circuler à Guiscriff avec beaucoup de discrétion. Pierre Le Borgne, Vincent Brézulier, réfugiés à Rosquennec, Yves Caillarec, le facteur, Jean Dorval ont commencé à recruter des volontaires pour les F.T.P.F. (Francs-Tireurs et Partisans Français) ; en premier lieu il s'agissait d'aider les réfractaires au S.T.O. à échapper aux recherches. Un premier groupe est entré dans la clandestinité dans les environs de Kergoat, Penvern, Kervelaouen en juin 1943, fractionné en petites unités de. 2, 3 ou 4 , aidés, dans la mesure des possibilités par Le Borgne · et Dorval, ces jeunes se déplaçaient tous les deux ou trois jours nourris et hébergés par des cultivateurs auxquels ils donnaient un coup de main. Ils ont été à Le Saint, Langonnet, Plouray, ce groupe a constitué la base de la 3ème Cie du 2e Bataillon F.F.I. - F.T.P. commandée par le Capitaine Barajiota.
Témoignage de François Le May, de la rue de la gare.
Charles Le Bris, évadé du stalag, s'est installé à Mil Jourdu avec Jean Huiban ; ils ont remis le moulin en état. C'était une bonne couverture et un bon moyen d'avoir des contacts sans attirer l'attention. Très rapidement s'est constitué l'état-major du 2ème Bataillon F.T.P. du Morbihan, devenu par la suite le 2e Bataillon F.F.I., en même temps se formait la 2ème Cie LANISCAT : du dit Bataillon. Moi, j'ai signé l’engagement le 10 décembre 1943 et j'ai commencé à recruter à mon tour. La Cie a été vite formée, seulement il n'y avait pas d'armes, on en cherchait. Au mieux on a trouvé quelques vieux pistolets ramenés comme trophées par les anciens de 14/18. Les fusils de chasse avaient été remis à la mairie, fin juin 1940. Il y a eu des tracts à distribuer, un groupe de la Cie a fait dérailler un train de permissionnaires allemands sur la ligne Quimper-Paris. Les dégâts furent importants. Ce n'est que vers le 18 juin 1944 que les responsables ont reçu !'assurance du Major Ogden Smith, maître d'œuvre des parachutages dans la région, que des armes seraient remises. La 2ème Cie a été rassemblée à Mil Jourdu le 22 juin ; il y avait 112 hommes, dont 54 de Guiscriff: 36 autres dont 5 de Guiscriff ont rejoint au cours du maquis ; départ le 23 ; longue marche par les chemins creux et à travers champs pour arriver à Ty Glas en Plouray. Là, dans la nuit du 24 au 25 a lieu un important parachutage ; 11 avions ont largué 270 conteneurs, travail harassant pour ramasser ces conteneurs et faire disparaître toute trace en enfouissant les conteneurs vides, les parachutes. Ensuite, chacun a reçu une arme , fusil ou mitraillette, un fusil mitrailleur pour 12, des munitions à volonté, 2 grenades chacun et nous avons entrepris un voyage long et crevant sous la pluie continuelle de ce mois de juin, particulièrement pourri ; chargés comme des bourricots 2 mauvaises nuits et 2 autres complètement blanches à la suite, cela met à plat les plus costauds. Après quelques jours à Mellionnec et à Ste Tréphine où nous nous sommes heurtés à un détachement de cavaliers "cosaques'', nous sommes arrivés au bois Kergrist Moellou ; sorties de nuit pour tendre des embuscades, faire des sabotages ; sorties de jour pour trouver du ravitaillement ont constitué notre ordinaire pendant le mois de Juillet.
Aout 1944. L'arrivée des Résistants place de la mairie |
Les faits les plus importants
Le 13 juillet 44, la 3ème section, commandée par Von Le Goff de Kérauden est envoyée prêter assistance à un maquis bien "accroché" au moulin de la Pie, fusillade intense tout l'après-midi. Le 14 juillet, défilé de presque toute la Cie à Kergrist à quelques kilomètres de Rostrenen avec son importante garnison ennemie - l'action n'était peut-être pas très prudente, mais elle a eu un grand retentissement dans la région. Le 29 juillet nouvelle intervention à la Pie, sur la route de Carhaix-Rostrenen, la 1 ère Cie du 11 ème et le bataillon Guy Moquet des Côtes du Nord livraient bataille à un ennemi surentraîné les parachutistes du Général Ramke qui voulaient se rendre en Normandie. A leur arrivée , les deux sections de notre compagnie ont eu un emplacement de choix, plusieurs fusils mitrailleurs, des fusils , des mitraillettes, derrière un talus surplombant la route et ont infligé de lourdes pertes aux nazis. Ceux-ci se sont retirés en emmenant leurs morts et blessés, abandonnant plusieurs véhicules incendiés, se vengeant, comme d' habitude sur les malheureux civils qui avaient le malheur de croiser leur route. Le combat a été cité à la B.B.C. le soir même. Le 3 août, toute l'unité a quitté le bois pour venir libérer Rostrenen, un drapeau formé de trois bandes de parachutes fixées sur une tige de bouleau, au milieu de la colonne. Nous nous attendions à d'âpres combats. Les nazis et Leurs supplétifs avaient décampé, nous avons occupé la ville. Le lendemain soir les colonnes américaines ont commencé à déferler. Le 13 août, toute la Cie est emmenée sur des camions américains aux abords de Lézardrieux. Les 14 et 15, violents combats d' infanterie; après d' intenses bombardements d'artillerie pour libérer la ville, la Cie fait plusieurs centaines de prisonniers, on ne sait combien exactement. Les groupes qui se rendaient étaient immédiatement "harponnés" par les américains. Ceux-ci ont ainsi "fait" 2500 prisonniers sans avoir engagé d' infanterie. Pour la Cie restée dans la campagne de Guiscriff, rattachée au 10ème bataillon, je relate les écrits de Jean Keriel qui a rédigé une plaquette dans les maquis bretons, avec ceux de l'O.R.A.(Organisation de Résistance de !'Armée) et de Gus Simon qui a été l'un des premiers engagés dans la Cie, Yves Guélard, l'instituteur Morzellec, Planchon, le pharmacien recrutaient pour Libération nord.
Auguste "Gus"Simon ( Rest-ar-Chuz St Antoine) |
Kériel relate " le 22 juin (1944) une réunion est organisée derrière la gare pour inciter au recrutement pour le maquis local. A cette date la commune comptait peu de maquisards, principalement des réfractaires au S.T.O. ainsi que quelques volontaires du pays ou des réfugiés de Lorient, ce fut le démarrage de ce grand maquis ; le 24 juin, le Lieutenant de Carville, accompagné des parachutistes Miodon et Le Guyader provenant de la base de "Grock" arrivent à Guiscriff. Le contact est établi avec le Commandant Lemestre et le Capitaine Planchon, tous les deux de Libé Nord et fondateurs de la Résistance à Guiscriff. Le Lieutenant De Carville prend le commandement du secteur avec les 80 hommes de la Cie de Guiscriff' (fin de citation). Selon Gus Simon, les premières armes sont venues de St Caradec Trégomel, ramenées par Armel Simon et Jean Scouarnec, dans la camionnette de Talabardon. D'autres ont été ramenées de Kernabat par Gus Simon et Jean Le Doeuff, de Kerguen Mouel. Des parachutages ont eu lieu les 25-27 et 30 juillet près de Fornigou, Kergabinet et Kerlaz ; un autre effectué le 29 juillet près de Gouamou Kergoat, ce dernier à la demande des F.T.P.
Au cimetière de Guiscriff, la tombe du lieutenant Decarville du major Ogden Smith et du parachutiste Maurice Modon |
Notre retour à Guiscriff en Août 1944
Le 27 juillet, la Cie attaque un convoi allemand à Bec ar Lann (5 Chemins), 2 ou 3 allemands sont tués. Le 6 août, 80 de ces hommes participent aux combats de Rosporden. Un groupe a aussi participé à la libération de Lézardrieux. Les victimes : en juin 44, les F.T.P. Pierre Morvan et Louis Mahot sont arrêtés, leurs restes sont découverts le 16 mai 1945 avec 6 7 autres malheureux dont 8 de Lanvénégen, à la citadelle de Port-Louis. Ils avaient été torturés d'une façon totalement atroce, sadique, leurs corps recouverts de ciment. Leur identification a été longue et difficile. Joseph Kervéadou, maquisard à la Cie de Guiscriff a été arrêté le 25 juillet, au cours d'un déplacement, avec son arme, selon les déclarations des 3 témoins qui sont venus au tribunal de Pontivy, lequel a rendu son jugement le 01/04/1947. Ses restes n'ont jamais été retrouvés. Etienne Prima, blessé au combat de Bec Lann a été conduit à l'hôpital de Quimperlé. Il y est décédé le 4 août, victime de la piqûre mo11elle infligée par un infirmier nazi qui accompagnait un groupe de répression qui recherchait les patriotes blessés. René Daouphars a été tué au combat de Rosporden le 6 août, De Carville, blessé aux mêmes combats est décédé à l'hôpital ; Jacques Moysan, blessé pendant le siège de Lorient est décédé à l'hôpital. Louis Cornec, de la 2ème:Cie, est parti avec les troupes canadiennes. Il a été tué en Belgique le t 1 09 1944, en même temps, Emile Derrien était grièvement blessé. Ogden Smith et le parachutiste Maurice Miodon, enterrés à Guiscriff, ont été tués au combat de Kerbozec en Querrien. Plusieurs autres maquisards ont été blessés. La joie de la libération a été tempérée par la découverte des fosses communes.
Le 17 août se déroulait à Lanvénégen, la cérémonie à la mémoire des 26 patriotes dont les corps avaient été exhumés par la Croix Rouge ; le 11, des fosses de Rosquéo et Rosengnat, parmi ceux-ci se trouvaient Jean Le Goff, né à Tréguirzit en 1922. Ils avaient été emmenés de la sinistre prison installée au collège Ste Barbe et massacrés le 23 juin précédent. La puanteur rendait encore plus sinistre cette cérémonie. Venant de Lézardrieux, je faisais partie du détachement de la 2ème Cie qui rendait les honneurs avec beaucoup d'autres unités. L'émotion était à son comble parmi l'énorme foule des participants. On ne saurait parler de la Résistance à Guiscriff sans parler de Jeannette Simon (Mme Neuder). Celle-ci aidait beaucoup les patriotes avec son mari, notamment en faisant de la dactylographie. Probablement à la suite d'une imprudence, leur domicile a été perquisitionné. Heureusement la machine à écrire avait été enlevée auparavant. Néanmoins, Jeannette a été arrêtée et incarcérée un mois à Quimperlé. Le domicile et le commerce de la famille Milliou, de la Lande St Maudé, étaient des lieux où se sont retrouvés nombre de clandestins affamés. Ils y trouvaient pitance et abri. Le père Mataou, transportant à l'hôpital un blessé par balle, a été arrêté en même temps que sa "convoyeuse", Françoise Hamon de Pont-Priant. Avec beaucoup de chance, ils ont échappé à l'exécution qui semblait les attendre de même que le blessé transporté, Robert Amiel. Loeïs Sylvestre et Planchon, le pharmacien, avaient installé à St Maudé un poste émetteur- récepteur de radio. Une niche creusée dans un talus servait d'abri, ils communiquaient avec Londres plusieurs fois par semaine - Témoignage de François Le Bourhis, fils du propriétaire du talus".