François Bernard cultivateur, tisserand et... diseur de grâces

Alors qu’il était vicaire à Scaër à partir de 1925, Vincent Favé avait rencontré François Bernard (1851-1929), sacristain de la chapelle de Coadry

"En sa maison j'ai vu un vieux métier de tisserand grossièrement travaillé et lourd, il savait quand il en trouvait le temps tisser la filasse de lin peignée dans les campagnes pendant les veillées d'hiver. En ce temps-là on trouvait encore à Scaër des champs de lin et de chanvre.

Soaïk Bernard demeurait à deux pas de la chapelle de Coadry


Quand j'ai fait sa connaissance, il était déjà pas mal âgé, chauve avec des mèches de cheveux gris tombant sur la nuque. Jamais on ne lui rasa les cheveux. Il n'était pas bien grand et en plus il était voûté par l'âge.

Il avait des yeux bleu clair… C'était un chrétien, pieux même jusqu'à la moelle des eaux. Il habitait tout près de la chapelle Notre-Dame de Coadry, à une bonne lieue de l'église paroissiale à mi-chemin de Leuhan de tours et de Coray. Il avait grande dévotion pour cette chapelle on y priait Notre-Dame Marie mais aussi messire Christ-Roi et la Passion du Sauveur. La passion y était proclamée le jeudi saint à 3h de l'après-midi et le vendredi saint à 7h du matin devant une grosse assemblée et avec autant de monde dehors. Soaïk Bernard  était, « en e vleud », littéralement "dans sa farine",  tout à son aise


"Il embrassait avec dévotion les pieds du Sauveur jésus, en gisant de bois, étendu comme on l'avait descendu de la croix. 



"autant de monde dehors"

Chaque jour, au matin, dès son lever, il s'y rendait pour l'aérer et il faisait seul le chemin de  croix à genoux tout autour de la chapelle et pour terminer embrassait avec dévotion les pieds du Sauveur jésus, en gisant de bois, étendu comme on l'avait descendu de la croix. 

Diseur de grâces

Dieu lui avait fait la grâce d'avoir un fils prêtre. En plus de son métier de cultivateur et de tisserand il avait un autre métier : « diseur de grâces ».  Quand quelqu'un décédait dans le quartier et parfois assez loin, on venait demander à François d'aller dire les grâces pour le défunt. Il savait réciter de longues prières en breton, prières qui plaisait au monde et qui portait à méditer sur les fins dernières et sur la meilleure façon de mener sa vie". 


Y avait-il un diseur de grâces lors des obsèques de Soaïk Bernard en 1929?


Personne  sans doute n'a mieux  raconté ces enterrements au début du XXe siècle que Pierre Jakez Hélias dans  " Le Cheval d'orgueil". Il évoque les diseurs de grâces et les pleureuses à gages.

:  "Le moribond  lui-même  est  en  représentation devant sa communauté. Lui et sa famille savent  qu'il  joue  son  dernier  rôle.  Si misérable soit-il,  il est vedette pour une fois.  Il a le souci de laisser en  ordre ses affaires ... A-t-on fait  referrer le  cheval bai ? En  ce  temps-là,  quand un  cheval va  mourir,  on  lui enlève ses fers.  D'où ces  dernières  paroles  au  paysan:  "me voilà déferré pour de bon". 

La  représentation  commence  avec l'extrême-Onction.  On  meurt  en public ...  Dans la  maison  du  moribond, tout est prêt ... tout le pays est en  alerte, on  se prépare  à  lui  rendre  les  derniers honneurs.  Quand c'est fini,  les  cloches de l'église tintent le glas.  Dans la chambre du mort, on a arrêté l'horloge,  voilà les miroirs, caché les bibelots futiles. Les habilleurs  de  la  mort  s'affairent  en silence autour du cadavre. On arrange le lit  pour  la  parade.  On  recouvre  ses parois  intérieures de  draps  et  de  toiles. C'est  la  chapelle blanche.  Sur le  banc  du  lit  un  rameau  bénit  trempe dans l'eau bénite d'une assiette blanche. 

Le corps est veillé pendant deux ou trois jours, les voisines sont venues s'occuper des tâches domestiques.  Puis on va avertir  tous  les  membres  de  la  famille, jusqu'aux  cousins  issus  de  germains. Pour  être  convié,  il  faut  attendre  la venue  de  l'envoyé spécial.  S'il ne  vient pas, c'est que vous êtes sortis de parenté, quelle humiliation pour vous !  Pendant la  veillée,  on  boit,  et  quelquefois  le tapage est tel que les femmes sortent de la  chapelle  blanche pour faire  taire  les tapageurs. Le diseur de grâces est un des plus importants personnages du cérémoniel  mortuaire.  Quelquefois,  il s'emporte en paroles sacrilèges,  mais le diseur trouve des mots qui touchent plus que  ceux  du  prêtre  pour  évoquer  le défunt: son récit,  ses lectures de l'évangile  ressemblent  parfois  à  de  houleux psychodrames.  Le  deuxième  moment marquant  est  l'arrivée  du  menuisier  et du  cercueil.  La  caisse  de  chêne  ou  de châtaignier  est  tapissée  de  ses propres copeaux,  le  dernier lit du  défunt ...  Les membres de  la  famille  s'approchent du défunt par ordre  de  parenté...  Un  dernier  arrêt  pour  permettre  un  dernier regard.  Alors  se  déchaînent  les sanglots ... peut-être en  souvenir du  rite des  pleureuses  à  gages?  Le  convoi s'ébranle,  les  croix  en  tête,  le  prêtre devant  le  corps,  les  porteurs  de  couronne derrière ... Les hommes et les femmes  sont  séparés  comme  toujours ... 

Ensuite,  à  l'église  l'office  funèbre déroule ses fastes en Latin. A bras le cercueil est sorti de l'église.  Un goupillon trempe dans un bénitier.  Chacun trace  le  signe  de  la  croix  sur  la caisse.  Les funérailles s'achèvent sur le repas d'enterrement.