STO. Les lettres de Guy à Roger

Un peu d'histoire

Les dirigeants nazis, pour accélérer la marche de leurs usines, firent appel aux volontaires dès le mois d’août 1940. Le 20 novembre, Vichy favorise officiellement le recrutement. Environ 150 000 travailleurs partiront ainsi entre août 1940 et juin 1942. Le 22 juin 1942 débute la Relève (pour trois départs, l'Allemagne accepte le retour d'un prisonnier) et le 4 septembre le Service du Travail Obligatoire (STO) faisant suite au relatif échec des politiques de volontariat et du système dit de Relève, qui aboutit à la présence en 1942, de 70 000 travailleurs venus de France en Allemagne, très en deçà des exigences de l'occupant.

À partir de septembre 1942, des lois vont permettre à l’Allemagne de réquisitionner des jeunes français pour venir travailler pour le IIIe Reich. 650 000 Français vont être concernés. Les personnes réquisitionnées dans le cadre du STO étaient hébergées, accueillies dans des camps de travailleurs localisés sur le sol allemand. 

De cette période qui a marqué aussi l’histoire scaëroise, on retient évidemment le destin des réfractaires au STO qui se sont cachés, ont changé de nom…ont pris le maquis pour échapper aux réquisitions .Certains rejoindront la  Résistance. L’histoire fait moins état des jeunes gens qui sont partis travailler en Allemagne volontairement ou dans le cadre du STO.

 


Lettre du  27 aout 1942.
Gemeinschaftslager : camp communautaire
Bande marron à gauche: la censure a contrôlé la lettre


La lettre du haut : février 1942, celle du bas : septembre 42. Les adresses différent: les travailleurs ont été regroupés dans un camp communautaire en cours d'année.
Arbeiterhiem :travailleur; Absender : expéditeur
 Panzerbau : constructeur de tank
.

Permission espérée puis refusée

Voici quelques extraits de la correspondance de Guy à son ami Roger du 1er janvier au 21 septembre 1943 qui ont échappé à la destruction et à l'oubli après un vide-maison. La petite histoire  locale rejoint ainsi la grande histoire nationale!  D’après son récit, Guy aurait été en Allemagne depuis octobre 1942.Volontairement ou dans le cadre du STO ? Sa correspondance ne le précise pas.. Dans ses propos, on devine une évolution de la situation  au fil des mois...

 janvier . Guy est à Essen « Le travail à l'usine n'est pas des plus durs surtout sur mon métier. Je me suis mis comme monteur électricien sur machine d'usine. Autant nous sommes à 400 et quelques, mais il y a d'autres camps dans la ville et ils sont assez dispersés; Aussi je n'ai pas eu beaucoup de temps d'aller voir s'il y a des types de Bretagne surtout que la ville n'est pas petite ».

Mai :  Guy a été muté à  Hûls, banlieue de Krefeld. « J'ai ici une autre vie qu’ à Essen; tu parles que je suis peinard je loge en ville chez une jeune fille de 25 piges dans un café restaurant avec 12 copains. Car ici nous avons les mêmes avantages que les ouvriers allemands. C'est bien simple nous avons tous nos cartes de ravitaillement et de textile et de tabac. Surtout depuis que je suis à Krefeld, je n'ai jamais manqué de tabac ni de cigare Chose que tu serais bien content d'avoir aussi à Scaër. Quelle grande différence avec mon ancien patelin.  Quant au boulot, c'est la planque: je suis dans une toute petite fabrique . On y est à 26 français sur 200 allemands. C’est tranquille les ouvriers sont corrects envers nous, on s'amuse avec eux pendant les heures de repos histoire de rire un coup car parmi les copains il y en a du Nord et tu ne peux pas te faire idée avec quel genre de zigotos. Enfin je te raconterai cela dans ma prochaine permission qui d'ailleurs est sous peu. A part ça tout va bien je vais me payer un costard ce mois-ci a. Je t'écris cette lettre dans ma carrée au son de la TSF »

Guy était en janvier 42 à Essen chez Krupp. En mai, il a été muté dans la banlieue de Krefeld; puis est revenu à Essen dans un camp communautaire

Juin :  Retour à Essen chez Krupp : « Comme tu vois, me voici à nouveau rappeler chez Krupp à Essen et ce n'est pas sans regret que j'ai quitté cette ville car tu sais que j'y étais bien. Ici j'ai repris la même vie qu'au début, je travaille dans la même usine qu'avant ; je commence à 8h et je finis à 4h l'après-midi pour le moment je travaille sur les transfos . Beau travail ,d'ailleurs très intéressant au point de vue de mon âge.  Au camp nous sommes 1600 et hier il en est encore arrivé 400 et on attend tous les jours. D'ici à ce qu'il paraît avant peu nous serions 5000. Ceux qui sont arrivés ici se sont beaucoup de planqués de la cambrousse :ils sont presque tous cultivateurs. Il y en a encore pas mal de la 42 (classe 42) et ce n'est qu'un petit début sans doute il va arriver encore par 1000 car toute la classe 42 doit venir ici sans exception et déjà les autres de la 40, 41 ne sont pas encore tous là. Mais ce mois-ci certainement, il va y avoir beaucoup de départ. Je ne peux te souhaiter que de rester à Scaër. Ne parle-t-on pas de départ de jeunes . Si jamais il y en avait à venir ici préviens-moi s'il y en a bien entendu

Août : « Un cas de typhus qui s'est déclaré au camp. Heureusement que ça cela ne s'est pas trop progressé. Figure-toi pas le droit de boire flotte, bière… Enfin on n’en tient pas compte, on espère que cela va bientôt disparaître … Comme le boulot donne comme toujours ce n'est point le travail qui fait défaut et tant mieux d'ailleurs sans cela ce que je peux me faire chier . Pour le moment je travaille dans les sous-stations au sein des transformateurs ».

 Septembre : « . Au camp tout va bien en ce moment rien de neuf . Question de boulot ça colle et ici on apprend au moins des choses intéressantes. Quelle différence bien que je ne fous pas lourd. Dimanche dernier je vais travailler de 7h à 4h et tu parles d'un boulot. Le matin j'ai changé sur un des ponts roulant de 70 tonnes un interrupteur à relais de 100 ampères 600 volts il pesait quelque chose comme 70 kg. Tu peux en juger quel morceau point j'en ai fait l'essai avec le pont et ça a gazé. L'après-midi j'ai donné un coup de main à l'équipe Siemens pour modifier une ligne de transfos.  Ce n'est pas le petit transfo de Scaër à la centrale :il y a 12 gros transfo 60000 volts 5000 volts 3000 volts 15000 volts il fournissent en basse tension du 700, 380, 110, 242 et 223 volts pour la lumière , en courant continu pour la soudure …

En ce moment je fais de l'extérieur montage de basse tension; je suis seul avec mon chef pour le faire en ce moment et tout en souterrain. Il n'y a pas de ligne aérienne ici. Figure-toi que dans ma piaule, je n'ai pas encore de jus. Aujourd'hui je viens de finir de faire l'installation dans le camp des Hollandais et demain je vais faire de même avec mon chef de montage dans le camp français c'est-à-dire deux baraques. Il est temps car il faut se coucher de bonne heure. Je te raconterai tout cela quand on se reverra. À part ça on ne parle pas de fin de contrat c'est d'ailleurs annulé et les permissions en ce moment sont supprimés et il est et il est question de faire l'envoi de 500000 ouvriers français ici,la classe 43 et autres cas. En tout cas voilà 11 mois de fait et ici le temps ici commence à être froid et va il va être bientôt temps d'avoir un poêle ».



Affiches  de 1940-41


avec des promesses alléchantes


Mars 43:Jean Vigouroux doit répondre à cette convocation pour 
aller travailler en Allemagne dans le cadre du STO. 
Il choisira de prendre le maquis et défilera le 14 juillet 1944 à Scaër


Le courrier

D’autres extraits  ont rapport à la correspondance entre l'Allemagne et Scaër: 

Janvier: Ça m'étonne beaucoup que je n'ai pas reçu ta lettre avant le 3 car j'ai reçu celle de Pierre M… écrite du même jour le 24 décembre c'est vrai que ça dépend des trains.

 Février: Tu es bien le seul qui jusqu'à maintenant qui m'a donné de tes nouvelles ça me remonte un peu le moral et aussi ça me donne des nouvelles du pays et surtout de ciné car tu ne peux pas te faire idée de ce que ça me donne le cafard le dimanche pas de distraction ou du moins si tu sors c'est toujours la tournée des magasins je me rappelle la journée du dimanche à Scaër ça me donne un peu le cafard .J'ai reçu ces jours-ci une lettre de Monsieur Déniel ( le curé de Scaër) aussi j'ai des nouvelles du  patronage. Tu me diras si Joseph Derrien est parti si oui donne-moi son adresse si tu peux me la donner».

 

Le tabac et les loisirs


Ces lettres témoignent d’une  évolution au cours de ce séjour.

Janvier : « Je touche pour le moment plus qu'en France : deux paquets de cigarettes et deux paquets de tabac tous les samedis  plus de tabac que j'ai reçu dans mon colis».

Février : « Je vais encore toucher aujourd'hui deux paquets de cigarettes et deux paquets de tabac mais maintenant on ne les touchera que tous les 10 jours. Je reçois quand même de bonnes gauloises dans mon colis».

Mai : « Comme le samedi après-midi l'usine ne travaille pas je vais descendre en ville acheter une belle paire de souliers de ville et en même temps je ferai ma provision de tabac et cigarette et souvent quand je sors je me dis si Roger avait été là il aurait bien fait honneur au paquet de 100 g de tabac blond. Je trouve toutes sortes de marque il y a aussi des africaines qui sont plus longs que les Gauloises et comme tabac noir il est supérieur point. Nous avons droit à 6 cigarettes par jour ou à deux gros cigares et quelquefois je touche en plus du tabac à l'usine. Enfin pour ma perm je vais faire une petite réserve et je pense bien te faire cadeau de 100 g ou comme tu désires».

Comme loisirs, Guy allait au théâtre, au Cinéma .  «  Il faut faire partie du foyer français des ouvriers et je n'ai pas encore été me faire inscrire d'ailleurs j'ai d'autres occupations le dimanche et surtout les séances ont lieu le matin à 9h tu penses bien qu'à 7h je reste  un peu au plumard. Il n'y a que le dimanche soir que je pense le plus au cinéma de chez toi » écrit-il en janvier

Février : « Demain au Capitole ils passent le film  la fille au vautour. J’irai faire un tour et je t'en donnerai des nouvelles».

Août : «  Alors dimanche matin à la messe et l'après-midi cinéma aussi le temps passe plus vite »